L'agriculteur n'est plus toujours roi et maître de sa ferme, au Québec. La part de la production faite sous intégration et contractualisation est en croissance dans la plupart des secteurs, reléguant le fermier au rôle d'employé. « On voit une augmentation de l'intégration, particulièrement en production de porc, de veau de grain et d'agneau lourd », a dit hier à La Presse Annie Royer, professeure à l'Université Laval, et coauteure d'un tout nouvel état de la situation au Québec.

Plus de la moitié (57 %) des porcs mis en marché en 2012 ont été produits soit directement par des entreprises intégrées (qui contrôlent plusieurs maillons de la chaine de production), soit par des éleveurs à forfait avec un intégrateur (propriétaire des cochons). Il s'agit d'une hausse de 7 % en un an, due à la volatilité des prix, aux problèmes de transfert, etc.

« Ce sont les chiffres officiels, mais il y a probablement encore plus d'intégration », a indiqué Mme Royer. La professeure n'a pu évaluer la quantité de porcs élevés par des producteurs possédant leurs propres bêtes, mais cédant presque tous leurs pouvoirs décisionnels à un intégrateur. « La plus grande difficulté que nous avons eue pour faire cette étude, c'est qu'il y a une grosse zone grise dans les contrats de production », a-t-elle expliqué.

Réels gains d'efficacité

La montée de l'intégration fait grincer des dents certains producteurs, qui y voient « une perte de contrôle » et « la disparition à plus ou moins brève échéance du producteur-entrepreneur », selon l'étude. Le phénomène permet, en contrepartie, de « réels gains d'efficacité », possiblement inévitables pour rester compétitifs.

La proportion de veaux de grain produits sous intégration est passée de 32 % à 47 %, depuis 1999-2000. « Je m'attendais à ce que ce soit plus bas; ça témoigne des difficultés des producteurs », a noté Mme Royer. Autre surprise : 14 % des agneaux lourds sont désormais produits sous intégration, alors qu'il n'y en avait aucun encore récemment. L'intégration verticale est aussi en hausse chez nos voisins américains. Pour suppléer au faible pouvoir de négociation des éleveurs intégrés, « les États-Unis ont mis en place des lois et règlements qui les protègent davantage », a indiqué la professeure. En Europe, des interprofessions supervisent les ententes.

Des contrats types pour éviter de se faire flouer au Québec ?

Il est possible d'utiliser la mise en marché collective pour mieux encadrer les contrats qui lient les producteurs aux intégrateurs. « Il y a moyen de mettre des outils en place pour éviter que les producteurs se fassent flouer », a assuré Mme Royer. Des contrats types existent dans le veau de lait et sont en train d'être élaborés dans le secteur porcin.

Quant à freiner l'accélération de l'intégration, tendance généralisée dans les pays industrialisés, c'est plus difficile, a estimé la chercheuse. Il serait néanmoins possible d'y arriver en « offrant aux producteurs les mêmes avantages », par exemple en réduisant la volatilité des prix.

L'Union des producteurs agricoles (UPA), qui a financé la réalisation de cette étude, entreprendra au début de 2013 « une vaste consultation » sur l'intégration, a indiqué Patrice Juneau, porte-parole de l'UPA.

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Production agricole sous intégration

Années, 1999-2000 / 2012

Porc : 41% / 57%

Volaille : 32% / 27%

Oeufs de consommation : 29% / 28%

Oeufs d'incubation pour pondeuses : 53% / 64%

Oeufs d'incubation pour poulet à chair : 70% / 74%

Veau de lait : 90% / 100%

Veau de grain : 32% / 47%

Agneaux et moutons : 0% / 14%

Note: Les contrats de production ne sont pas comptabilisés, sauf dans le veau de lait, où les producteurs qui ont des contrats de production ont peu de contrôle sur leurs activités.

Source: Intégration verticale et contractualisation en agriculture, État de la situation au Québec, Université Laval, 2012.