L'Autorité des marchés financiers (AMF) vient de franchir une étape importante qui lui permettra d'éclaircir son enquête sur la Fondation Fer de lance, dont un troublant transfert de fonds à l'île de Man.

Le tribunal a récemment donné accès à l'AMF à tous les documents jusqu'alors confidentiels que l'avocat Jean-Pierre Desmarais avait accumulés dans son ancien cabinet, Marchand Melançon Forget.

Selon la juge Louise Bourdeau, les documents de Me Desmarais ne bénéficient pas du privilège du secret professionnel. Qui plus est, ils peuvent être accessibles, car ils sont visés par «l'exception de crime ou de fraude projetée».

105 investisseurs, 23 millions

L'avocat Jean-Pierre Desmarais et le promoteur Paul Gélinas sont au coeur de cette histoire, qui s'apparente à une fraude à la Ponzi, selon l'enquête de l'AMF. Quelque 105 investisseurs ont placé 22,7 millions de dollars dans cette affaire et l'AMF n'a récupéré que 5,8 millions. Une part importante est due à 71 investisseurs de la firme PIF, également liée au duo Gélinas-Desmarais.

La décision du tribunal fait suite à une perquisition de l'AMF, en mars dernier, dans les bureaux du cabinet Lapointe Rosenstein Marchand Melançon (cette firme a absorbé Marchand Melançon Forget en 2010).

La perquisition était motivée par des faits troublants révélés par l'enquêteur Éric Desrosiers en cour. Dans son témoignage écrit, l'enquêteur reprend des lettres que Me Desmarais aurait transmises aux investisseurs de PIF pour justifier les retards de paiements, en 2007.

Dans ces lettres, Me Desmarais donne d'obscures raisons pour justifier les retards de paiement aux investisseurs, à qui l'organisation doit 15 millions depuis 2004. Il est question de vagues «normes internationales régissant les transferts d'argent», de «rencontres avec certaines personnes en Europe» et de «force majeure».

Paul Gélinas et Jean-Pierre Desmarais écrivent ensuite aux investisseurs de PIF pour leur dire que l'organisation s'affaire à monter une nouvelle «ingénierie» pour les rembourser. Aucun courriel ne permet de comprendre la nature de l'ingénierie, écrit l'enquêteur de l'AMF.

Dans son témoignage, l'enquêteur démontre, par les échanges de lettres, que les fonds pour rembourser les gens de PIF proviendraient des contributions des investisseurs de la Fondation Fer de lance, ce qui constituerait un stratagème à la Ponzi.

Selon l'enquête de l'AMF, le stratagème remonte à une dizaine d'années et a débuté avec la société Y-Voir. Les fonds des investisseurs de PIF ont notamment servi à rembourser ceux d'Y-Voir, selon l'AMF. Or, Y-Voir a déclaré faillite, en avril 2007.

Île de Man

L'enquêteur de l'AMF a également découvert un mystérieux transfert de fonds vers l'île de Man, au Royaume-Uni, considérée comme un paradis fiscal.

Quelque 960 000$ US ont ainsi été décaissés du compte en fidéicommis de Me Desmarais, à Montréal, pour aboutir dans le compte bancaire de l'entreprise Integrated Corporate Resources (ICR), de l'île de Man.

Selon l'AMF, un document laisse pourtant entendre que les fonds ont plutôt été inscrits dans les livres d'une affiliée de la Fondation enregistrée aux îles TurksetCaicos, un autre paradis fiscal.

D'autres transferts du compte de Me Desmarais à ICR ont aussi été découverts, cette fois de 420 000$US.

Autre fait troublant: des fonds d'investisseurs de PIF versés dans le compte en fidéicommis de Me Desmarais l'ont été sur la base de contrats qui stipulaient que les fonds étaient garantis par Promutuel Appalaches St-François, ce que Promutuel nie totalement, selon l'AMF.

Rappelons que les deux principaux investisseurs de la Fondation sont la femme d'affaires Denise Verreault (2 millions) et son conjoint (1 million).

L'AMF réclame une peine d'emprisonnement de cinq ans moins un jour pour Me Desmarais et M. Gélinas, en plus d'une amende de 1 million de dollars chacun. L'organisme affirme qu'ils ont recueilli des fonds illégalement, c'est-à-dire sans permis et sans prospectus.

Jean-Pierre Desmarais est marié à Michèle Toupin, juge coordonnatrice de la Cour du Québec pour la région Laval/Laurentides/Lanaudière. Me Desmarais n'a pas rappelé La Presse.