Ce n'est pas la saison des impôts, mais le téléphone sonnait plus souvent qu'à l'habitude hier matin dans les bureaux des fiscalistes québécois. Des clients inquiets veulent savoir si le gouvernement Marois peut augmenter leurs impôts rétroactivement - et surtout, s'ils peuvent échapper à cette facture fiscale supplémentaire.

«Les gens appellent pour voir s'ils peuvent déménager dans une autre province avant la fin de l'année. J'ai un client médecin qui allait visiter des condos à Ottawa le week-end dernier», dit Me Paul Ryan, fiscaliste associé du cabinet d'avocats Ravinsky Ryan Lemoyne et auteur du livre Le fisc attaque, publié aux éditions La Presse. «Nous avons beaucoup d'appels de clients qui se questionnent pour savoir s'ils veulent quitter le Québec», dit Me Christian Meighen, associé en fiscalité au cabinet d'avocats McCarthy Tétrault. «Depuis quelques jours, le téléphone sonne beaucoup. Nous sentons la nervosité chez nos clients», dit Jean-François Thuot, associé en fiscalité au cabinet de comptabilité Raymond Chabot Grant Thornton à Montréal.

Déménager

Première solution pour les contribuables qui voudront échapper aux hausses d'impôt du gouvernement Marois: déménager dans une autre province canadienne. En vertu des lois, un contribuable est imposé dans la province où il réside à la fin de l'année fiscale (31 décembre 2012). Il doit toutefois couper presque tous ses liens avec le Québec (p. ex: résidence principale, assurance maladie, permis de conduire) et acheter une résidence principale dans une autre province. «Passer la nuit du 31 décembre à l'hôtel à Toronto ne suffit pas», ironise Me Paul Ryan. Le stratagème peut notamment être utilisé par un dirigeant d'une entreprise québécoise qui réside lui-même à l'extérieur du Québec.

Comme solution de rechange, les professionnels comme les avocats, les médecins et les dentistes seront tentés de s'incorporer - un droit qu'ils viennent tout juste d'obtenir, fait valoir Paul Ryan. «Nous parlons d'un groupe de 50 000 personnes, dont 20 000 médecins qui sont presque tous touchés par les hausses d'impôt», dit-il. Pour l'instant, le taux d'imposition combiné entreprise/dividende équivaut à celui des particuliers, mais les changements envisagés par le gouvernement Marois pourraient changer cet équilibre.

De toute façon, l'incorporation est déjà avantageuse, car elle permet de fractionner le revenu (p. ex: mettre son conjoint comme actionnaire et séparer les dividendes entre les deux) et de reporter l'impôt sur une partie de ses revenus.

Davantage d'épargne

«Les gens peuvent ressortir l'argent à leur rythme, dit Me Paul Ryan. Ils vont seulement se verser en salaire ou dividende ce dont ils ont besoin pour vivre. Ils vont consommer moins et épargner davantage.»

Sinon, il n'y a pas grand-chose à faire, estiment les fiscalistes consultés par La Presse Affaires. Au Canada, les lois fiscales rétroactives sont légales (elles sont davantage encadrées dans certains pays d'Europe).

La dernière hausse d'impôt rétroactive au Québec a eu lieu en 1993, lorsque le gouvernement Bourassa a instauré un impôt supplémentaire de 5% sur une facture d'impôt supérieure à 5000$ et de 10% sur une facture d'impôt supérieure à 10 000$ (pour un contribuable gagnant 100 000$, la différence était d'environ 1000$).

Cette hausse d'impôt - annoncée en mai, rétroactive en janvier mais payable seulement en juillet 1993 - a été annulée l'année suivante par le gouvernement péquiste de Jacques Parizeau. «Dans une société basée sur la règle de loi, on devrait être capable de calculer nos affaires en vertu du droit actuel», dit Me Paul Ryan.

- Avec la collaboration de Paul Journet 

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Avec ou sans loi?

Le gouvernement Marois peut-il aller de l'avant avec ses hausses d'impôt rétroactives sans faire voter une loi à l'Assemblée nationale? En théorie oui, selon les fiscalistes Paul Ryan (Ravinsky Ryan Lemoyne) et André Lareau, professeur de fiscalité à l'Université Laval. "Il y a une tradition qui permet de voter une mesure fiscale rétroactivement à son annonce par communiqué de presse", dit André Lareau. Encore faut-il que le projet de loi finisse par être adopté à l'Assemblée nationale, où le PQ est minoritaire. Si le projet de loi est défait, le fisc québécois rembourserait les sommes payées en trop aux contribuables.