Difficile de savoir où s'en va le Québec dans le présent contexte économique. Certes, nous avons traversé la récession sans trop d'histoires, mais l'État est à cours de ressources, les ménages sont endettés, le fardeau fiscal des individus, déjà très élevé, va s'alourdir encore. Mince consolation, nos grands voisins et partenaires, l'Ontario et les États-Unis, ont aussi leur part d'embûches.

La Grande Récession? On ne l'a pas vraiment sentie au Québec, a-t-on maintes fois entendu dans les conversations alors qu'elle faisait rage à l'ouest de la rivière des Outaouais, au sud de la frontière et à travers l'Europe.

La reprise? On ne la sent pas vraiment non plus au Québec où la croissance pépère, proche de la stagnation, s'est à nouveau installée. Si l'économie mondiale ne vacille pas, le Québec sera chanceux de s'en tirer avec une expansion de moins de 2% par année à court et moyen termes, Plan nord ou pas.

«Maintenant que les étudiants rentrent en classe, il serait temps de regarder l'avenir économique du Québec car la situation ne s'améliore pas depuis quelques trimestres, écrivait plus tôt cette semaine François Barrière, vice-président développement chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne, tout en précisant que ce sera là sa seule intervention dans la campagne. Le taux de chômage augmente, les finances publiques se détériorent et le secteur manufacturier qui souffre déjà va souffrir encore plus du renforcement de la devise canadienne.»

On ne voit guère comment il pourrait en être autrement, compte tenu de la dynamique de notre économie.

De 2001 à 2007, la croissance réelle du Québec a toujours été inférieure à celle du Canada dans son ensemble. La récession, qui s'est étendue de l'automne 2008 jusqu'à l'été 2009 au Canada, a fait moins mal dans sa société distincte, mais la reprise y est plus molle.

Demande à bout de souffle

«L'économie du Québec est très vulnérable parce que la construction résidentielle réelle s'élevait à 6,9% du PIB réel au premier trimestre de 2012, contre 6% pour le reste du Canada, fait remarquer Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal. La part des dépenses de consommation réelles était de 66,2% contre 62,7% au Canada. L'économie québécoise est donc dépendante de la demande intérieure.»

La demande intérieure, c'est la somme de la consommation des ménages, des dépenses en logement (construction, rénovation), des investissements des entreprises et de celles de l'État.

D'un océan à l'autre, la consommation des ménages ralentit depuis un an en raison d'un niveau d'endettement record.

Ce qui aggrave celle du Québec, c'est la mollesse du marché du travail. Alors qu'il s'est créé près de 140 000 emplois en un an (de juillet à juillet) au Canada, le Québec en comptait quelque 13 000 de moins, selon les données de l'Enquête sur la population active de Statistique Canada.

On ne peut se surprendre dès lors que la valeur des ventes des détaillants québécois progresse deux fois plus lentement qu'ailleurs au pays.

On ne peut s'attendre non à ce que la vitalité des mises en chantier perdure, compte tenu de notre faible croissance démographique, même quand on y ajoute l'apport de l'immigration.

Plus tôt cette semaine, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) a d'ailleurs dévoilé ses prévisions: après un recul de 5,8% du nombre de mises en chantier l'an dernier, on s'attend à un repli de 6,2% cette année et de 7,3% l'an prochain.

Si ces prévisions s'avèrent, le marché du travail faiblira encore: le Québec comptait 13 000 emplois de moins qu'il y a un an, le mois dernier, mais l'industrie de la construction en comptait quant à elle 25 000 de plus. L'hémorragie guette.

Une étude de l'Institut C.D. Howe publiée la semaine dernière fait aussi ressortir la faiblesse relative des investissements des entreprises au Québec. Cette année, pour chaque dollar investi par travailleur en moyenne par les entreprises des pays de l'OCDE, celles du Québec injectaient 72 cents. Le montant diminue à 62 cents quand on fait la comparaison avec les entreprises américaines. En comparaison, les chiffres de l'Ontario sont de 70 cents et 60 cents. Rien, en somme, pour rehausser une productivité qui bat de l'aile face à la poussée de la concurrence internationale.

Reste l'État. Une des raisons qui explique que le Québec a traversé la récession avec moins de maux que l'Ontario, l'Alberta ou les États-Unis, c'est le lancement opportun du programme de réfection des infrastructures, en 2008.

Cela a eu un coût. Comme toutes les autres provinces, sauf la Saskatchewan, les finances du Québec sont plongées dans le rouge depuis 2009. La dette brute du Québec, équivaut à 55% de la taille de notre économie. C'est de loin la plus lourde au pays.

Le ministre des Finances Raymond Bachand est bien inspiré en visant le retour à l'équilibre budgétaire, dès l'an prochain. Cela signifie aussi renoncer à chauffer l'économie, si un nouveau dérapage de l'économie mondiale devait survenir.

Selon Robert Kavcik, économiste chez BMO Marchés des capitaux, le fardeau de la dette «constitue un risque à moyen terme pour l'économie. L'objectif de réduction de la dette à long terme (la ramener à 45% du PIB en 2026) devrait être maintenu».

Quel que soit le parti élu le 4 septembre, il sera lié par cet objectif, faute de quoi les coûts d'emprunt et le service de la dette du Québec augmenteront rapidement. Ce ne sera pas facile. Après deux mois au cours du présent exercice, le déficit de la province est de 320 millions plus élevé qu'après avril et mai 2011, malgré la hausse d'un point de pourcentage de la TVQ.

Déficit commercial nuisible

Si la demande intérieure ne peut plus encore longtemps assurer à elle seule l'expansion au cours des prochaines années, le Québec pourrait-il se rabattre sur une croissance de ses exportations nettes? Après tout, le président américain Barack Obama n'a-t-il pas fixé comme objectif de doubler la valeur des exportations américaines?

Malheureusement, le déficit commercial du Québec est devenu structurel au tournant du millénaire, après des fermetures de grandes usines vouées à l'exportation comme GM à Boisbriand ou Norsk Hydro, à Bécancour. À ces départs, s'ajoute l'arrêt d'activités de plusieurs scieries et usines de papier, victimes de la rareté de la fibre, de la crise américaine du marché de l'habitation et de la révolution numérique qui affaiblit la consommation d'imprimés en tout genre. Sans compter d'autres fabricants avec des mandats internationaux comme Mabe ou Electrolux.

Et quoi qu'en pensent certains personnages politiques, l'or noir ne viendra pas à la rescousse de sitôt.

«Le déficit des exportations réelles nettes s'élevait à 12,9% du PIB réel du Québec, comparativement à 9,4% pour le reste du Canada», rappelle M. Marchon.

«Une économie américaine qui peine à afficher un taux de croissance de 2%, la récession en Europe et un dollar canadien fort constituent une combinaison de facteurs défavorables pour les exportateurs du Québec», rappelle M. Kavcic.

Voilà pourquoi, devant des perspectives si grises, les partis politiques préfèrent miser sur des enjeux où leurs engagements susciteront moins de scepticisme, voire de cynisme, parmi les électeurs.

Au pouvoir, ils hériteront de la tâche peu enviable mais essentielle de maintenir la croissance, faute de pouvoir vraiment la stimuler...