Bien malin qui pourra chiffrer avec exactitude les pertes des salariés, des entreprises et de l'économie montréalaise tout entière, causées par les actes de sabotage dans le métro jeudi matin. Mais selon une estimation prudente, elles atteignent 10 à 15 millions de dollars.

Il s'agit bel et bien d'un sabotage économique, c'est-à-dire d'actes matériels «tendant à empêcher le fonctionnement normal d'un service, d'une entreprise, d'une machine, d'une installation», selon la définition même du Petit Robert.

La Société de transport de Montréal évalue à quelque 125 000 personnes qui ont été privées de métro à partir de 7h45. Si quelques courageux chanceux se sont rués sur des BIXI malgré la pluie froide, ou sont montés dans des taxis, la plupart se sont retrouvés à la rue où les attendaient des autobus bondés et une congestion monstre.

Une étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) publiée à l'automne 2010 évaluait à quelque 2 millions le nombre de déplacements dans la métropole durant l'heure de pointe. La moitié de ces déplacements environ sont rattachés au travail. (L'île de Montréal compte près de 1 million d'emplois.)

Bien sûr, beaucoup de travailleurs étaient déjà à l'oeuvre lorsque les méfaits ont été commis. Dans la construction par exemple, les chantiers ouvrent dès 7h. Toutefois, quand les bétonnières et les autres transporteurs de matériaux lourds sont paralysés par la congestion, l'activité ralentit.

Pour les autres travailleurs, l'arrivée au boulot avec au moins une heure de retard et plusieurs minutes passées à commenter la situation ont occasionné des pertes de production importantes, sans compter des salaires rognés pour au moins tous ceux qui doivent présenter leur carte dans l'horloge à poinçon.

Durant une journée normale, il faut moins de 30 minutes pour rouler des stations Henri-Bourassa à Place-d'Armes, selon l'expérience quotidienne de celui qui écrit ces lignes. Hier, dans l'essaim de pare-chocs, il lui aura fallu près de 90 minutes pour faire le trajet.

On estime à 100 milliards de dollars la valeur des biens et services produits en un an dans l'île de Montréal. Une heure de travail en moins représente 11,4 millions qui n'auront pas été générés.

En réalité, c'est sans doute bien davantage. «Quel est le coût en stress que cet événement génère? Ça ne se calcule jamais, déplore Michel Leblanc, président de la CCMM. Il y a une tension qui se construit, y a du monde en maudit. L'anarchie a un coût.»

Les pertes sont en général de petites sommes qui, lorsqu'on en fait l'addition, donnent des millions à l'échelle de la métropole.

Une heure de travail en moins, c'est 18,75$ de moins pour un grand nombre de salariés, si on prend pour repère le salaire médian.

Pour compenser, plusieurs ont laissé tomber le muffin, le croissant ou le café au lait pour se rabattre sur une friandise ou le jus de la distributrice: les petits comptoirs-lunchs ont été les premiers à encaisser les coûts rattachés à ces méfaits publics. Et ça ne faisait que commencer. Plusieurs n'ont pas reçu les pains, tomates, laitues, jambon frais pour confectionner les sandwiches du midi ou se sont retrouvés avec des employés en moins pour les préparer.

Ceux qui ont eu la possibilité de se rabattre sur le télétravail ont annulé la réservation au resto où traditionnellement plusieurs employés dînent les jeudis, jour de paye. Des couverts en moins pour bon nombre de bistrots qui avaient commencé à les préparer dès l'aube.

En général, dans la congestion, ce sont toutes les entreprises qui fonctionnent en mode juste à temps qui subissent les contrecoups.

Et ça commence par les firmes de camionnage, chargées de livrer toutes sortes de marchandises du terminal A aux points B, C et D puis d'en collecter d'autres des points E, F et G pour les ramener au terminal où elles seront transbordées en vue d'une livraison vers leur point de chute.

C'est un processus en flux continu. Les retards perturbent toute la chaîne et entraînent chez l'un des pertes de production, chez l'autre des ventes ratées.

«C'est beaucoup de stress pour nos chauffeurs, déplore Jean-Robert Lessard, vice-président marketing chez Robert. Nos employés sont payés à l'heure, mais ils veulent avant tout être à l'heure chez le client.»

Le transporteur, qui exploite un parc de plusieurs centaines de camions qui font beaucoup la navette Montréal-Toronto-Montréal exploite deux terminaux pour desservir Montréal: un à Dorval pour les clients de l'Ouest-de-l'Île, l'autre à Boucherville.

Les perturbations d'hier l'ont forcé à mettre d'autres camions sur la route pour compléter la collecte des camions qui accumulaient les retards de livraison. Coût de l'opération selon M. Lessard: de 35 000$ à 50 000$.

Et on ne compte pas ceux de leurs clients.

On pourrait poursuivre l'énumération presque à l'infini. Telle est la réalité d'une grande ville: quand tout tourne rondement, c'est un carrefour d'efficience et de productivité. Quand ça dérape, c'est comme à la roulette: rien ne va plus.

Emplois dans l'île de Montréal: 985 500

Déplacements durant l'heure de pointe: 2 000 000

Déplacements en transports en commun: 225 000

Salaire horaire médian à Montréal: 18,75$

Salaire horaire moyen: 21,83$

Sources : STM, Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Institut de la statistique du Québec