Avec l'arrivée du printemps, les coureurs ont repris leur entraînement en vue du Marathon de Montréal, en septembre prochain. Pour la première fois, celui-ci sera organisé par une société californienne appartenant à des financiers de New York, dont l'objectif est de maximiser le profit de ses sociétés en portefeuille. Cela n'empêchera pas l'organisation de faire appel à 1500 bénévoles, ni de recevoir des centaines de milliers de dollars en aide publique.

En septembre dernier, Bernard Arsenault a vendu la société Gesport, organisatrice du Marathon de Montréal, à Competitor Group, de San Diego. Depuis cette date, le Marathon de Montréal est présidé par Peter Englehart, associé de Falconhead Capital, une firme de capitaux privés de New York qui détient 100% de Competitor Group.

«Competitor détient 100% de Marathon de Montréal», a confirmé Dana Allen, première vice-présidente, dans un entretien. Le communiqué publié à l'époque par M. Arsenault a annoncé l'association entre l'épreuve montréalaise et la série de marathons Rock'N'Roll, qui a attiré 390 000 participants en 2011, mais il ne faisait pas mention d'un transfert de propriété. Par la suite, des articles parus sur le sujet ont parlé d'une «vente partielle» de l'épreuve montréalaise, sans en préciser les détails. Les parties refusent de dévoiler le prix de la transaction.

Un OSBL

«En fait, le Marathon est encore un organisme sans but lucratif, précise Dominique Arsenault, fille de Bernard et responsable des communications de Marathon de Montréal. C'est la société qui gère le Marathon [qui a été vendue]. C'est probablement une des meilleures façons d'amener l'événement à un autre niveau, poursuit-elle. Les capitaux que nous n'aurions pas pu nécessairement aller chercher, les gens de Competitor Group les ont. C'est déjà une grosse machine bien implantée», explique-t-elle.

L'an dernier, la course montréalaise a attiré près de 24 000 participants; 27 000 sont attendus en 2012. «On veut augmenter la participation, surtout en provenance des États-Unis», a dit Dana Allen. La société pour laquelle elle travaille vaut au moins 115 millions US (voir autre texte). «Notre but est d'amener plus de touristes à Montréal en faisant la promotion de l'événement dans nos magazines et auprès des coureurs inscrits dans notre banque de données.»

Les marathons Rock'N'Roll sont des événements festifs, où les coureurs ont la possibilité de voir des performances musicales tous les deux kilomètres le long du parcours. Un concert est aussi prévu au fil d'arrivée.

Les subventions sont-elles nécessaires?

Comme bien des épreuves du genre en Amérique, le Marathon de Montréal fait appel aux bénévoles et à l'argent des contribuables pour la tenue de la course.

Qu'une société à but lucratif valant plus d'une centaine de millions fasse appel à des bénévoles et à l'argent des contribuables pour tenir une épreuve de course à pied a soulevé la controverse ailleurs, à San Diego notamment, où Competitor Group a dû rembourser des subventions de 344 000$ aux autorités locales (voir autre texte).

Au Québec, les bailleurs de fonds publics acceptent volontiers de subventionner des événements populaires comme les grands festivals qui sont gérés par des sociétés commerciales, du moment que les retombées économiques et les touristes sont au rendez-vous.

Dana Allen ne craint pas pour ses subventions, malgré le statut à but lucratif du nouveau propriétaire du Marathon. «Dans les discussions que nous avons eues avec la Ville et les responsables de l'industrie touristique, nous avons senti beaucoup d'enthousiasme. Ils nous appuient et sont persuadés que ce sera bon pour la ville parce que nous allons faire venir à Montréal plus de coureurs de l'extérieur», dit-elle.

L'an dernier, Québec a versé 177 000$ au Marathon de Montréal. De son côté, la Ville de Montréal offre gratuitement les services policiers et d'autres services publics, comme elle le fait d'ailleurs pour le Tour de l'île ou les festivals. La valeur des services atteint 425 000$ pour la course de 2012 (321 000$ en 2011).

Tourisme Montréal, qui gère la taxe d'hébergement de 3% du revenu de location des chambres d'hôtel, finance également l'événement depuis trois ans, mais l'organisme refuse de divulguer publiquement sa contribution.

Des critiques

Un ancien organisateur du Marathon se montre critique. «Idéalement, l'organisation d'un événement comme ça devrait être donnée à un groupe local», soumet Alain Bordeleau, qui en a été le responsable de 1992 à 1996. Il est aussi détenteur du record québécois au marathon avec un temps de 2 heures 14 minutes et 19 secondes, réalisé en 1984 à Ottawa. «L'idée que le Marathon puisse réinvestir ses profits dans le milieu pour soutenir le développement des athlètes ou l'offre de services est une avenue intéressante», croit l'ancien olympien, qui gagne sa vie dans l'import-export. C'est le cas à la Coupe Rogers, organisée par Tennis Canada. Les profits de l'événement vont au développement des joueurs, confirme Valérie Tétreault, coordonnatrice des communications de Tennis Canada.

«Si ce sont des intérêts américains qui organisent le Marathon, les profits vont aller du côté des États-Unis», s'inquiète Alain Bordeleau.

Johanne Turbide, professeure de comptabilité à HEC Montréal et spécialiste en gestion financière des OSBL, ne partage pas les mêmes craintes. Elle souligne que les OSBL doivent démontrer aux autorités que sans l'appui public, l'activité ne peut pas faire ses frais. «Les bailleurs de fonds publics font le travail de vérification», soutient-elle.

L'universitaire reconnaît néanmoins que les OSBL manquent de transparence. Au Québec, ceux-ci n'ont de compte à rendre qu'à leurs membres (au minimum trois personnes) et, à l'occasion, aux bailleurs de fonds. Competitor a refusé de divulguer les chiffres de Marathon de Montréal.

Un précédent

Outre la question de la transparence, la vente du Marathon à des intérêts étrangers soulève des interrogations quant au transfert de propriété des grandes manifestations populaires comme les festivals. «Avec le Marathon, on est en présence d'une forme de précédent», estime Martin Roy, directeur général du Regroupement des événements majeurs internationaux (REMI), lequel ne compte pas le Marathon de Montréal parmi ses 22 membres. «Au REMI, on est là pour travailler à la pérennité d'un secteur qui a été formé par des visionnaires qui, un jour, passeront la main. On espère que ça va se faire au profit de la collectivité et des Québécois», a-t-il indiqué.

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La manifestation sportive en un coup d'oeil

Date

23 septembre 2012

Épreuves

> marathon

> demi-marathon

> 10 km

> 5 km

> 1 km

Participants en 2011

24 000

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Qui est le nouveau propriétaire du Marathon de Montréal?

Competitor Group

Création : 2007

Propriétaire : Falconhead Capital (100%)

Président et chef de la direction : Scott Dickey

Principaux actifs

> 58 événements, dont 27 Marathons Rock'N'Roll

> Base de données de plus de 7 millions de coureurs et de triathlètes

> 4 magazines spécialisés: tirage mensuel de 600 000 copies

> Plateformes numériques (Competitor.com et Raceit.com)

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MARATHONS LES PLUS POPULAIRE EN 2011

NEW YORK

47 133 FINISSANTS

CHICAGO

35 755 FINISSANTS

LONDRES

35 126 FINISSANTS

BERLIN

32 816 FINISSANTS

TOKYO

32 395 FINISSANTS

Source : Rapport annuel, Running USA