Le blues printanier frappe normalement quand le printemps tarde à venir. Pour les stations de ski du Québec, c'est l'inverse. Arrivée trop tôt cette année, la belle saison sème la déprime dans une industrie qui lutte pour sa survie.

Au beau milieu du mois de janvier dernier, la station de ski Mont-Carmel, en Mauricie, a cessé ses activités. Pas assez de neige, trop de dépenses, les propriétaires de la station ont décidé d'abandonner la partie après une saison des Fêtes décevante.

C'est la première fois qu'une station de ski ferme en pleine saison, mais les fermetures ne sont pas rares. Elles se sont multipliées au cours des dernières années. Avant Mont-Carmel, il y a eu Montjoye et Mont-Glen, dans les Cantons-de-l'Est, et Gray Rocks dans les Laurentides. Les survivantes travaillent fort pour continuer dans un environnement de plus en plus difficile pour les sports de glisse.

En raison des changements climatiques et du vieillissement de la population, nombreux sont ceux qui prédisent depuis des années la fin du ski alpin au Québec. Les chiffres, pourtant, contredisent les plus pessimistes.

La fréquentation des stations se maintient autour de 6 millions jours-ski par année depuis deux décennies. La saison qui vient de se terminer, dont le bilan sera connu le mois prochain, fera probablement baisser la moyenne, mais l'annonce de la mort de l'industrie est gravement exagérée.

«La diminution du nombre de stations n'est pas un bon indicateur de la santé de l'industrie», souligne Claude Péloquin, directeur général de l'Association des stations de ski du Québec.

Il y a moins de stations, mais la capacité de remontée en personnes à l'heure est restée stable ou a même légèrement augmenté, explique-t-il. Ce sont les stations les plus petites qui sont disparues du paysage et celles qui restent ont investi pour augmenter la capacité de leurs remontées.

Investir, c'est la planche de salut de l'industrie du ski. Au cours des dernières années, ce sont les baby-boomers qui ont sauvé l'industrie du ski. Nouvellement retraitées, en santé physique et financière, les têtes grises ont aidé les stations à maintenir leur fréquentation.

Profits insuffisants

À plus long terme, seules les stations qui pourront augmenter leur capacité d'enneigement, mieux travailler leurs pistes et moderniser leurs remontées mécaniques peuvent espérer survivre.

Le problème, c'est que bien peu de stations ont la capacité d'investir. Même dans les plus grandes stations comme Sutton et Mont-Sainte-Anne, les installations souffrent de ce sous-investissement chronique.

Dans toutes les régions, les chalets ont besoin de rénovation, la capacité d'enneigement est insuffisante et la moyenne d'âge des remontées mécaniques dépasse les 30 ans.

L'an dernier, les stations ont investi 38 millions. C'était une année exceptionnelle, grâce à une station qui a investi à elle seule 18,4 millions dans de nouvelles remontées mécaniques.

Bon an, mal an, l'industrie investit 20 millions dans la fabrication de neige, l'entretien des pistes et l'amélioration des remontées. «C'est nettement insuffisant», dit Claude Péloquin, qui estime que les investissements devraient être au moins deux fois plus élevés pour pouvoir se comparer à la concurrence nord-américaine.

Ce sous-investissement s'explique facilement. La moitié des stations de ski du Québec sont la propriété de municipalités ou d'organismes à but non lucratif dont la capacité d'investissement est limitée ou parfois inexistante. Pour l'autre moitié appartenant à l'entreprise privée, les profits sont insuffisants pour investir, même un peu.

Pour ces entreprises, le bilan continue même de se détériorer. «Le nombre de jours-ski est stable, mais les dépenses augmentent sans cesse, notamment la facture d'électricité pour l'enneigement», précise Claude Péloquin. À eux seuls, les tarifs d'électricité font que les propriétaires de stations de ski s'arrachent les cheveux (voir autre texte).

D'autres marchés

En l'absence de profits, et comme les banquiers restent généralement loin de l'industrie du ski, il est impossible de financer des investissements pourtant nécessaires pour se maintenir la tête hors de l'eau.

On parle ici d'investissements considérables: une dameuse coûte un demi-million, une remontée débrayable peut atteindre 5 millions.

Claude Péloquin a déjà été plus optimiste pour son secteur d'activité. Il a déjà prédit une augmentation considérable de la fréquentation, avec un nombre de jours-ski de 8 millions en 2010. On est loin du compte, convient-il.

Malgré tout, l'industrie québécoise a réussi à maintenir sa part du marché nord-américain. En 2010-2011, les stations québécoises étaient au deuxième rang du marché canadien pour la fréquentation, avec 8% du total des jours-ski, derrière les stations de l'Ouest canadien (11%), et au troisième rang du marché du nord-est du continent.

En raison de cette résilience, Claude Péloquin est toujours optimiste. Mais il n'y a jamais eu autant d'activités de loisirs qui se disputent l'intérêt des consommateurs. Et une fois que les baby-boomers auront rangé leurs skis, la relève sera-t-elle au rendez-vous?

«La sédentarité des jeunes est un autre de nos défis», dit le porte-parole de l'industrie.

Les changements climatiques sont de loin la principale hantise des stations de ski du Québec. Ça pourrait aussi être leur planche de salut, estime Claude Péloquin.

«Les stations de ski du Québec sont celles qui sont le plus au nord dans le nord-est du continent nord-américain, précise-t-il. Ce sont donc celles qui seront les moins touchées par le réchauffement et le manque de neige. Les skieurs du nord-est des États-Unis et de l'Ontario sont déjà un marché important de certaines stations québécoises. Il y a un grand marché à aller chercher là. À condition de s'équiper pour le faire...»