Les entreprises de construction et les restaurateurs ne sont pas les seuls à être dans la ligne de mire du fisc. Revenu Québec montre aussi des dents contre la plus importante société d'État du Québec: Hydro-Québec.

Sans tambour ni trompette, un litige entre les deux organismes du gouvernement a surgi devant les tribunaux, le printemps dernier. Le débat fiscal en Cour du Québec porte sur la comptabilisation de près de 800 millions de dollars de dettes et de profits dans les états financiers d'Hydro pour les années 2004, 2005 et 2006.

En vertu de sa loi constitutive, Hydro-Québec ne paie ni taxe ni impôts pour elle-même et les filiales dont elle détient au moins 90% des actions. Par contre, la société d'État doit payer une taxe sur le capital. En fiscalité, le capital est essentiellement la somme des dettes à long terme d'une entreprise, en plus de ses bénéfices.

Revenu Québec estime qu'Hydro a omis d'inclure dans son capital sa quote-part de la dette de six importantes filiales, de même que sa quote-part de leurs bénéfices. L'ajout de ces quotes-parts aurait augmenté sa dette de 302 millions et ses bénéfices de 488 millions, pour un total de 790 millions.

Selon nos estimations, l'ajout de ce montant de 790 millions dans son calcul du capital fiscal aurait augmenté ses versements de taxe sur le capital de 4,7 millions de dollars pour l'ensemble des trois années.

Selon Hydro, le fisc a toujours reconnu que le calcul de son «capital versé» se faisait avec l'exclusion des participations dans les coentreprises. Les entreprises en cause avaient pour la plupart leurs activités à l'étranger. Il s'agit de Consortio Transmantaro, Empresa de Generacion, Electrica Fortuna, Bucksport Energy, Hidroelectrica Rio Lajas, Directlink et HQI-China.

Hydro détenait entre 10 et 69% de ces entreprises entre 2004 et 2006. La quote-part des bénéfices annuels pour Hydro a oscillé entre 3,6 millions (Hidroelectrica, 2004) et 128 millions (Directlink, 2004).

Pour convaincre le fisc, Hydro soutient que les coentreprises ne sont pas des filiales, puisqu'elle n'a pas le contrôle de leurs décisions stratégiques, en vertu des conventions d'actionnaires.

Une bataille vaine?

Quoi qu'il en soit, le gouvernement du Québec a-t-il quelque chose à gagner que deux de ses organismes se chamaillent devant les tribunaux? Les fonds de l'un et de l'autre aboutissent tôt ou tard dans les coffres de l'État et, au bout du compte, le gouvernement n'empochera pas un sou de plus que ce soit Hydro ou Revenu Québec qui gagne.

«Je comprends que Revenu Québec a pour mission de collecter tous ses revenus. Elle n'a pas le choix d'appliquer les règles de façon uniforme pour tous. Mais sur le plan de l'allocation des ressources, ce n'est pas optimal. C'est clair qu'il y a de l'argent et de l'énergie qui se perdent là-dedans», souligne Luc Godbout, économiste et fiscaliste de l'Université de Sherbrooke.

Depuis cinq ans, les deux camps paient des fonctionnaires et des fiscalistes pour débattre sur cette facture de 4,7 millions de dollars. Hydro-Québec a d'ailleurs embauché les fiscalistes réputés Wilfrid Lefebvre et Vincent Dionne, du cabinet d'avocats Ogilvy Renault.

«Il faudrait que le père de famille, autrement dit le gouvernement, intervienne pour trancher ce débat technique», dit M. Godbout.

À Hydro-Québec, le porte-parole, Patrice Lavoie, indique avoir eu recours aux tribunaux après avoir franchi avec Revenu Québec toutes les étapes prévues par les lois fiscales. L'Agence du revenu du Québec n'a pas voulu faire de commentaires.

Précisons que la taxe sur le capital a été abolie au Québec le 1er janvier 2011. Le taux de la taxe était de 0,6% du «capital versé» d'une entreprise en 2004 et 2005. Il a été réduit progressivement, passant notamment de 0,525% en 2006 à zéro en 2011.