Lorsqu'un dollar américain valait près de 1,50 $ CAN, 60 % des clients de l'hôtel Place d'Armes venaient du sud de la frontière. Aujourd'hui, le huard surpasse le billet vert. Comment se portent les affaires dans ce luxueux hôtel ? Très bien, merci !

Des hôtels désertés, des restaurants en faillite, des vacanciers qui restent à la maison, l'industrie du tourisme connaît une année catastrophique aux États-Unis. Au même moment, le tourisme est en croissance pour une deuxième année de suite à Montréal. Malgré l'incertitude économique, malgré la hausse du dollar canadien. Portrait d'une industrie qui a dû s'adapter à la nouvelle donne économique.

Le Groupe Antonopoulos, qui exploite cinq hôtels, dont le Place d'Armes, ainsi que cinq restaurants dans le Vieux-Montréal, est en mode expansion. Cette entreprise familiale vient d'agrandir son Auberge du Vieux-Port pour ajouter une vingtaine de chambres, une salle de conférence et un restaurant, la Taverne Gaspar. Et elle ne ferme pas la porte à de nouvelles acquisitions.

« En général, on voit du positif, observe Dimitri Antonopoulos, vice-président marketing du Groupe. C'est clair que ce n'est pas une bonne période touristique en général pour le marché américain. Mais on continue d'avoir de bons résultats pour la ville ici. Je pense que quand ça va reprendre aux États-Unis, ça va juste nous donner une poussée. »

Déjà frappés de plein fouet par la récession, nos voisins du Sud ont vu la valeur de leur maison fondre comme neige au soleil. La correction boursière des dernières semaines confirme que la reprise sera moins rapide qu'on l'espérait. Résultat : la classe moyenne américaine reste à la maison cet été. Pas question de partir en vacances lorsqu'on craint pour son emploi.

L'industrie touristique américaine connaît une année désastreuse. On aurait pu s'attendre à la même chose chez nous. Le dollar canadien flotte à parité avec le billet vert. Le coût élevé du carburant rend les voyages en voiture plus chers.

Malgré tout, force est de constater que les touristes sont au rendez-vous à Montréal. Les taux d'occupation sont en hausse dans les hôtels. Les Canadiens et les Européens louent les chambres laissées vacantes par nos voisins du Sud.

« On est conscients que les activités dans les Bourses ailleurs vont faire ressortir un sentiment de fragilité dans le potentiel d'occupation dans les hôtels, reconnaît Geoffrey Allen, directeur général de l'hôtel Crystal, au centre-ville. Nous sommes un peu isolés du phénomène parce que la majorité des clients des hôtels montréalais ne viennent pas des États-Unis. On a l'avantage d'avoir environ 80 % de notre clientèle qui vient du Canada ou de l'Europe. »

Lorsque ce luxueux hôtel a ouvert ses portes, rue de la Montagne, en 2008, entre 20 % et 25 % des chambres étaient louées par des Américains. Aujourd'hui, cette clientèle ne représente plus que 15 % du chiffre d'affaires.

« Nous avions des craintes au sujet de la valeur du dollar canadien et l'incertitude économique, convient William Brown, vice-président de l'Association des hôtels du Grand Montréal, mais rien ne s'est matérialisé. Les hôtels ont rapporté que beaucoup de touristes d'agrément sont venus durant le mois de juillet. »

En date de la fin juillet, les 76 hôtels membres de cet organisme avaient enregistré un taux d'occupation de 66,09 % depuis le début 2011. Si la tendance se maintient, l'année sera plus lucrative que 2010, qui avait elle-même été beaucoup plus faste que 2009.

Marketing et météo

Comment expliquer ce succès dans un contexte qui semble si défavorable ? Le président de Tourisme Montréal, Charles Lapointe, estime que la campagne de marketing agressive y est pour beaucoup. L'organisme a en effet investi 25 millions pour faire connaître Montréal aux étrangers.

M. Lapointe souligne que la météo radieuse a aussi aidé. Et bien sûr, la métropole ne manque pas d'attraits. Le Grand Prix reste le plus gros événement touristique de l'année. L'exposition « La planète mode » de Jean-Paul Gaulthier a été couverte par les médias du monde entier, une manne de visibilité pour Montréal.

Étrangement, le cours actuel du dollar canadien pourrait bien aider l'industrie touristique montréalaise, estime Gilles Larivière, président de Horvath HTL Canada, une firme de consultation dans le domaine hôtelier.

« Ce qu'on a, c'est l'avantage d'avoir moins de fluctuation dans le dollar, observe cet expert. C'est frustrant qu'il vaille si cher, mais c'est moins dommageable que s'il se met à monter et à descendre de façon rapide et marquée. »

Selon lui, Montréal bénéficie également d'une embellie du tourisme urbain observée dans toutes les grandes villes du monde. De plus en plus de voyageurs préfèrent l'éclectisme des villes aux plages et aux montagnes, destinations de villégiature plus classiques.

Les prix stagnent

Mais les hôtels ne roulent pas sur l'or pour autant.

« On a, à Montréal, une situation étonnante, indique Charles Lapointe, de Tourisme Montréal. On a 5000 nouvelles chambres d'hôtel qui se sont ajoutées depuis 10 ans. On a besoin de plus de touristes si l'on veut maintenir la rentabilité de nos opérations hôtelières. »

Les taux d'occupation se sont améliorés depuis la récession, mais ils commencent à peine à s'approcher des pointes enregistrées entre 2005 et 2007 (voir tableau). On est encore loin des sommets historiques de la fin des années 90, où les taux dépassaient les 70 %.

La construction de nouveaux hôtels, surtout près de l'aéroport Trudeau et dans l'ouest de l'île, a fait bondir l'offre au cours des dernières années. Résultat : la concurrence empêche les hôtels d'augmenter leurs tarifs. Le tarif moyen par chambre est plus bas qu'il l'était il y a six ans. Et ce, alors que les entreprises doivent composer avec des dépenses toujours plus grandes pour les salaires, l'ameublement et la nourriture.

« Il faut toujours regarder les coûts sans que le client perde la valeur de son séjour, concède Dimitri Antonopoulos. Je pense qu'on a réussi à bien gérer cela sans couper notre offre. Et on a pu garder nos tarifs à un niveau assez élevé pour justifier nos coûts. »