Cinq ans après la crise du nématode doré qui avait mis à mal la traditionnelle culture de pommes de terre à Saint-Amable, en Montérégie, des agriculteurs du coin tentent d'intégrer le chanvre dans leur rotation des cultures, question de poursuivre les efforts de diversification. Des industriels de la région suivent les premiers essais et sont prêts à utiliser la plante dans la fabrication de textile ou la production d'éthanol.

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Dans le cadre d'un programme de 70 000$ majoritairement financé par la Conférence régionale des élus de la Montérégie Est, environ 16 hectares de chanvre ont été semés en juin chez deux producteurs de Saint-Amable. Le fabricant d'uniformes Logistik Unicorp, de Saint-Jean-sur-Richelieu, s'est engagé à acheter toute la production cette année.

Le président de l'entreprise, Louis Bibeau, croit beaucoup aux vertus de la fibre qu'il peut tirer de la tige du chanvre. Son entreprise a d'ailleurs reçu une subvention de 200 000$ du ministère du Développement économique (MDEIE) et est en voie d'en obtenir une autre, pour un total de 750 000$. M. Bibeau et son équipe travaillent à développer des technologies pour transformer le chanvre de manière efficace et ils veulent bâtir une filière du chanvre au Québec.

Le chanvre, aussi cultivé dans la région de Lanaudière, est une fibre textile plus résistante que le coton et naturellement antibactérienne. En plus, sa culture nécessite beaucoup moins d'eau, moins de fertilisation et moins d'herbicides, ce qui réduit d'autant les coûts du producteur.

Ghyslain Bouchard, directeur du créneau ACCORD Matériaux souples avancés en Montérégie pour le MDEIE, est emballé par les possibilités qu'offre le chanvre, autrefois condamné pour son association à la marijuana. «On veut développer une industrie québécoise de fibre de chanvre, dit M. Bouchard. La production chinoise est très chimique et sa qualité n'est pas régulière. On veut contrôler notre propre production et répondre à une bonne partie de la demande d'ici.»

Selon M. Bouchard, le Québec peut encore tirer son épingle du jeu dans le monde du textile en développant des niches. Le chanvre, qui peut être aussi utilisé dans les composites, les matières isolantes et même le béton, permettrait de créer de telles niches.

Ce qui fait aussi la beauté du chanvre, c'est que le même plant pour servir à de multiples usages. L'industrie textile ne peut utiliser qu'environ 25% de la plante. Dans le cas du chanvre amablien, les parties non utilisées par Logistik Unicorp seront envoyées chez Éthanol Greenfield, à Varennes, pour un projet pilote de production d'éthanol cellulosique.

Au-delà de la patate

Les semis tardifs au début juin et les faibles pluies en juillet ont affecté les plants qui seront récoltés dès cette semaine à Saint-Amable, mais il s'agit d'un premier essai. «C'est un peu l'inconnu pour nous», note Claude Boucher, producteur agricole habitué aux pommes de terre, aux asperges et au maïs. Il s'agit toutefois d'une belle occasion de profiter d'un nouveau marché, avec le soutien technique du Centre de recherche sur les grains CÉROM.

En 2006, la présence du nématode doré, un ver parasite, a obligé les agriculteurs de Saint-Amable à se tourner vers d'autres cultures, eux qui produisaient presque exclusivement des pommes de terre. Ils ont commencé à cultiver le maïs, le soya et certaines variétés plus résistantes de pommes de terre. Et maintenant, le chanvre. C'est une diversification des cultures qui pourrait mener à une diversification de l'économie amablienne.

«On espère que ça se développe et que les agriculteurs soient capables d'en profiter, explique le maire François Gamache. L'objectif est de cultiver 300 hectares de chanvre d'ici cinq ans, si tout va bien. Éventuellement, nous pourrions tenter d'obtenir une usine de décortication de la plante ici à Saint-Amable.»

En attendant, il faut s'assurer que ce soit rentable, souligne Bruno Lavoie, coordonnateur au développement économique du CLD de Marguerite-d'Youville. «C'est ce qu'on veut montrer avec ces premiers essais.»

Notons que la variété de chanvre plantée à Saint-Amable ne contient qu'une quantité négligeable de THC, la substance qui produit les effets recherchés par les consommateurs de marijuana. Toute personne qui fumerait la plante risquerait d'être déçue.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Claude Boucher, agriculteur, parle d'une expérience en terrain inconnu.