Les organisateurs des grands festivals gèrent des millions en deniers publics par l'entremise d'organismes sans but lucratif et de sociétés privées. Une structure complexe, qui n'inquiète pas du tout la ministre québécoise du Tourisme.

Si les grands festivals peinent à boucler leur budget, leurs organisateurs ont les reins solides sur le plan financier.

Au Québec, les quatre plus importants festivals sont des organismes sans but lucratif. Trois d'entre eux sont toutefois gérés par le secteur privé, soit le Groupe Juste pour rire et l'Équipe Spectra (Festival international de jazz de Montréal, FrancoFolies et Montréal en lumière), qui assurent que les contribuables en ont pour leur argent.

«Les spectacles dans la rue, qui sont gratuits, coûtent plus cher que les subventions. Si quelqu'un peut m'expliquer comment faire un festival sans subventions, je suis très ouvert à l'écouter», dit Gilbert Rozon, président fondateur du Festival Juste pour rire et PDG du Groupe Juste pour rire.

«On est plus catholique que le pape», dit pour sa part Alain Simard, PDG du Groupe Spectra et président fondateur du Festival international de jazz de Montréal (FIJM), des FrancoFolies de Montréal et de Montréal en lumière.

Pour organiser ses trois festivals, Spectra se verse en cachet 4% du budget du Jazz et de Montréal en lumière, ainsi que 2,5% du budget des FrancoFolies. Il s'agit d'un cachet total de 1,6 million de dollars (1,14 million pour le FIJM, 223 000$ pour les FrancoFolies et 272 000$ pour Montréal en lumière). À ce prix, Spectra fournit le personnel de direction et de gestion, l'expertise et les frais de bureaux. Le seul autre festival québécois ayant accepté de dévoiler son contrat de gestion, Woodstock en Beauce, paie 5% de son budget à son gestionnaire privé, Consultar.

«Il y a des économies d'échelle: les trois festivals partagent les mêmes bureaux, les mêmes employés, les mêmes services d'informatique», dit Alain Simard, de Spectra. Les autres revenus de Spectra durant les trois festivals, comme la location de salles ou la gérance d'artistes, sont «mineurs» selon M. Simard. «Nous sommes dans une écologie délicate. On ne favorise pas nos salles ou nos artistes. On amène de la business à tout le monde.»

Le Festival Juste pour rire ne dévoile pas combien il paie le Groupe Juste pour rire en honoraires. La loi ne force pas les OSBL à dévoiler leur budget. «On essaie d'être avare de ces chiffres-là, car la compétition nous surveille, mais 4% du budget [comme Spectra], ce n'est pas loin de la réalité», dit Gilbert Rozon.

Les spectacles du Festival Juste pour rire sont gérés par un OSBL, qui veille sur un budget d'environ 25 millions et qui reçoit 5 millions par année en subventions. La production télévisuelle des spectacles du Festival est l'affaire du Groupe Juste pour rire, une entreprise privée qui n'obtient pas de subvention sur son chiffre d'affaires d'environ 15 millions. Le Groupe ne dévoile pas ses états financiers.

La SODEC vérifie chaque année les livres comptables des festivals pour le gouvernement du Québec, notamment les transactions croisées et les contrats de gestion entre les OSBL et les entreprises privées qui leur sont liées. «La SODEC le dirait au gouvernement, s'il y avait de l'abus, dit Gilbert Rozon. Des fois, on en fait même trop. Je ne connais personne qui paierait les droits télé que le Groupe Juste pour rire paie au Festival.»

«Le Festival de jazz doit avoir un meilleur marché pour notre Métropolis que quand on le loue à evenko», illustre de son côté Alain Simard.

La ministre québécoise du Tourisme, Nicole Ménard, ne voit rien de répréhensible dans les liens entre le secteur privé et les organismes sans but lucratif qui exploitent les festivals, d'autant plus que le gouvernement du Québec subventionne aussi directement des promoteurs privés comme evenko (245 000$ pour Osheaga) et Six Flags, propriétaire de La Ronde (425 000$ pour l'International des feux Loto-Québec à Montréal). «Les critères du programme sont connus, les retombées économiques doivent être validées par une étude indépendante, on voit les bilans des festivals, on est très sévères», dit-elle.

Controverse Labeaume-Simard

Parmi les quatre plus grands festivals de la province, seul le Festival d'été de Québec n'est pas lié au secteur privé. En 2009, en conflit avec les FrancoFolies de Montréal qui avaient changé de date unilatéralement, le maire de Québec et ex-président du Festival d'été Régis Labeaume a accusé Alain Simard et Spectra de vouloir «mettre un quart de million de plus dans ses poches».

Deux ans plus tard, le Festival d'été ne se formalise plus de la structure d'entreprise des festivals de Spectra. «À chacun sa façon de faire les choses, dit son directeur général Daniel Gélinas. L'important, c'est que chacun utilise un maximum de ses revenus pour organiser un événement qui va rayonner internationalement.»

Spectra admet que sa structure d'entreprise lui met parfois des bâtons dans les roues avec les organismes subventionnaires, mais pas pour les raisons qu'on pourrait imaginer. «On nous répond parfois que nous sommes riches parce que nous avons beaucoup de subventions et de commandites, dit-il. Ce n'est pas vrai qu'on peut se payer des spectacles à déficit éternellement. Si on fait seulement des artistes qui remplissent des salles, on va perdre notre meilleur atout: notre crédibilité dans le milieu artistique.»

Alain Simard fait aussi valoir que Spectra vient souvent en aide financièrement à ses festivals. «Quand nous avons construit la Maison du Festival pour 18 millions, Spectra a mis le Métropolis en garantie, car il manquait 3 millions, dit-il. Il y a deux ans, Spectra et Guy Latraverse ont renoncé à leurs honoraires de 150 000$ pour permettre aux FrancoFolies de boucler leur budget. Cette année, pour aider les FrancoFolies, nous avons fait un spectacle extérieur avec Vincent Vallières, le numéro un dans les ventes d'albums qui est sous contrat avec nous. Spectra aurait pu faire beaucoup plus d'argent avec un spectacle de Vincent au Métropolis cet automne, mais on a décidé d'aider les FrancoFolies.»

Selon Alain Simard, Spectra dégage des profits inférieurs à 5% de son chiffre d'affaires annuel de 65 millions, soit moins de 3,25 millions par année, avec l'ensemble de ses activités, qui comprennent une agence d'artistes et la salle de concert du Métropolis. «Le show-business, c'est très risqué, dit Alain Simard. On est dans une business qui se réinvente toujours. C'est comme l'aviation: quand l'avion part à moitié vide, Air Transat perd de l'argent. C'est la même chose quand une salle de spectacle est à moitié vide...»