Le parc national des Îles-de-Boucherville est connu pour son abondante population de cerfs de Viriginie, ses sentiers bucoliques et ses pistes cyclables. Son maïs sucré a aussi fait la fierté de ses cultivateurs pendant des générations, mais plus pour longtemps. Le gouvernement est en voie d'évincer les deux derniers agriculteurs de l'archipel.

Robert Savaria travaille près du centre-ville, mais il est rarement coincé dans les embouteillages. Il se rend au boulot en bateau. Chaque matin, à bord d'une lourde barge métallique, il franchit le petit bras du fleuve qui sépare Boucherville de ses îles.

L'embarcation avance à la vitesse d'une tortue. On a du mal à croire que le maïs pousse de l'autre côté des arbres qui s'élèvent au bord de l'eau. Une fois accosté, on aperçoit des herbes longues qui s'étendent à l'infini. Le mât du Stade olympique se profile à l'horizon. C'est un panneau en bordure de la piste cyclable qui trahit la présence des cultivateurs. On avise les cyclistes de surveiller la présence de tracteurs.

Un microclimat

Les Savaria se sont établis dans l'île de la Commune dans les années 40. Depuis trois générations, ils produisent un maïs sucré, tendre et hâtif. Les plants des îles sont réputés être prêts pour la récolte plusieurs jours avant ceux qui poussent sur la terre ferme.

«Ce n'est pas parce qu'on est des meilleurs producteurs que d'autres, résume Robert Savaria, de l'entreprise Savaria et frères. On jouit d'un microclimat. On est entourés d'eau, c'est très humide et il y a beaucoup de rosée le matin. C'est ce qui donne au maïs un petit goût supérieur aux autres.»

Robert Savaria marche entre les rangs, et tâte les épis. Dans une dizaine de jours, les plus mûrs seront prêts pour la récolte. On les chargera sur la barge pour les revendre dans les supermarchés. L'agriculteur grogne. Après 70 ans, sa famille devra bientôt quitter ces terres. Le gouvernement ne veut plus d'agriculture ici.

Québec a acquis toutes les terres des îles dans les années 70 et, en 1984, il a créé le parc national des Îles-de-Boucherville. Une large portion de l'archipel a été renaturalisée, mais le gouvernement a permis à certains cultivateurs de rester sur leurs anciennes terres en tant que locataires.

Il y a 10 ans, Québec a modifié les statuts du parc, conçu pour des fins de récréation. La conservation des milieux naturels est devenue sa principale priorité. En 2008, les agriculteurs ont renouvelé leur bail une dernière fois. Le gouvernement va graduellement reprendre leurs terres. La surface cultivée est déjà passée de 249 à 195 hectares. Elle disparaîtra complètement au terme de la récolte de 2016.

Nuisible

La Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), qui administre le parc national, va renaturaliser les terres agricoles afin qu'elles redeviennent représentatives des écosystèmes des basses terres du Saint-Laurent.

«L'activité agricole pourrait en théorie être nuisible, résume Bernard Desorcy, chargé de projet au ministère du Développement durable. Les agriculteurs utilisent divers engrais et, à terme, ces produits prennent le chemin des cours d'eau lorsqu'il y a du ruissellement. Ce n'est pas idéal dans un parc national.»

On ne lâche pas

Les agriculteurs espèrent encore convaincre le gouvernement de changer d'idée. Ces terres ont toujours eu une vocation agricole, souligne Patrick Van Velzen, de la ferme Van Velzen et fils. Même les Iroquois les cultivaient.

«On aimerait préserver l'endroit où nous sommes partis, résume-t-il. C'est l'origine de notre entreprise qui est ici, dans les îles de Boucherville.»

Des élus de Boucherville comptent également se mêler du dossier. Le conseiller Yan Savaria-Laquerre s'explique mal que le gouvernement montre la porte aux agriculteurs alors que le bail du terrain de golf avoisinant reste valide pour encore plusieurs décennies.

«On ne parle pas des efforts des agriculteurs pour réduire l'utilisation des pesticides, dit-il. Quand je vois un golf juste à côté - et on sait que les terrains de golf sont de grands utilisateurs de pesticides et d'engrais -, j'ai beaucoup de misère à avaler ça.»