L'AMF a refusé de les indemniser. La GRC a abandonné leur cause. Et voilà que Revenu Québec fait la vie dure aux investisseurs de Mount Real, eux dont le dossier fiscal est pourtant évident.

Pendant plusieurs années, les investisseurs de Mount Real ont payé des impôts sur les revenus d'intérêts de leurs investissements. Or, ces intérêts inscrits sur leurs états de compte étaient fictifs. Et aujourd'hui, les investisseurs réclament les impôts qui ont été versés indûment, mais le fisc rechigne.

Mount Real s'est avéré un vaste stratagème à la Ponzi, selon les aveux du syndic dans cette affaire, Raymond Chabot. Les investisseurs ont obtenu une lettre officielle de cette firme au début de 2010, attestant qu'il s'agit d'une «fraude de nature pyramidale ou plus particulièrement un stratagème à la Ponzi». La firme Raymond Chabot est dirigée par Jean Robillard, celui-là même que le ministre des Finances a nommé pour mettre Mount Real sous tutelle, en 2005. Les 1600 investisseurs ont perdu 130 millions dans cette affaire.

Avec un stratagème à la Ponzi, les fonds confiés à l'organisation ne sont pas placés. Ils servent plutôt à rembourser le capital des investisseurs les plus anciens qui vendent. Certains investisseurs ont empoché des fonds ou ont liquidé leurs positions, au fil des années, plutôt que de voir gonfler leurs états de compte. Toutefois, ce ne sont pas des intérêts sur placement que les investisseurs ont eus pendant toutes ces années, mais l'équivalent d'un remboursement de capital.

Difficiles déductions

Depuis deux ans, l'investisseur Joseph Sioufi se bat avec Revenu Québec pour se faire rembourser les impôts qu'il a payés sur ces intérêts fictifs. L'homme et sa conjointe avaient déclaré 286 000$ d'intérêts au fil des ans, pour lesquels ils ont payé 56 000$ d'impôts au provincial et 46 000$ au fédéral. Ce sont ces sommes qu'ils réclament aujourd'hui.

Le fisc se montre toutefois capricieux. Pour toute compensation, Revenu Québec accepte que les Sioufi utilisent leurs pertes pour réduire leurs revenus des trois dernières années et des 20 prochaines années. Le problème, c'est qu'avec la fraude, les Sioufi n'ont presque plus de revenus et ils ne peuvent donc récupérer annuellement qu'une très petite somme.

L'an dernier, par exemple, les Sioufi ont récupéré seulement 1500$ en utilisant la méthode exigée par Revenu Québec. Quant au fédéral, le dossier est au point mort.

«Ils insultent mon intelligence. Je ne pourrai jamais récupérer les impôts payés en trop. J'ai 70 ans et je vais crever avant de ravoir mon argent. Et ces déductions ne sont pas transférables à mes héritiers», fustige M. Sioufi, architecte à la retraite.

Ironiquement, bien des investisseurs de Mount Real, souvent des personnes âgées, n'auront pas la possibilité de récupérer autant que M. Sioufi. En effet, leurs revenus sont si faibles qu'ils ne peuvent pratiquement pas déduire leurs pertes. Pire: certains investisseurs sont morts depuis l'éclatement du scandale, en 2005, et leurs héritiers ne verront jamais la couleur des fonds remis indûment au fisc.

Norbourg, Earl Jones...

Traitement surprenant

Le traitement que reçoit M. Sioufi est étonnant lorsqu'on connaît les décisions de Revenu Québec dans d'autres dossiers. Dans l'affaire Norbourg, l'organisme a retourné aux investisseurs les 6,7 millions de dollars d'impôts versés par Vincent Lacroix pour ses déclarations de revenus entre 1995 et 2004.

«Par ce geste, nous faisons preuve de compréhension et démontrons notre sympathie envers les investisseurs floués», avait déclaré le ministre du Revenu Robert Dutil en septembre 2009.

Même sympathie pour les investisseurs d'Earl Jones, aussi victimes d'une fraude à la Ponzi. Revenu Québec et Revenu Canada ont accepté que les victimes puissent réclamer rétroactivement des pertes en capital pour les 10 dernières années et non pas pour seulement 3 ans, nous certifie Neil Stein, avocat du syndic de la firme d'Earl Jones.

Cette possibilité de réclamation rétroactive permet aux investisseurs de refaire leurs déclarations de revenus passées, à un moment où leurs gains en capital étaient plus élevés.

Pour obtenir ce privilège, le fisc a demandé qu'un jugement annule officiellement les contrats de placement que les investisseurs avaient signés avec la firme d'Earl Jones, explique Me Stein. Cette requête, déposée il y a quelques semaines, contenait le nom des 77 investisseurs demandant l'annulation de leur contrat d'investissement. La requête a été déposée contre le syndic et autorisée par le registraire. Elle permettra de récupérer 3 millions de dollars d'impôts payés sur des intérêts fictifs.

Jointe au téléphone, la porte-parole de Revenu Québec, Valérie Savard, a reconnu que son organisme a collaboré à cette entente sur Earl Jones, mais n'a aucune directive au sujet de Mount Real. «Je ne vois pas pourquoi ça ne s'appliquerait pas à Mount Real», a -t-elle dit.

À Revenu Canada, La Presse Affaires n'avait pas obtenu de commentaires au moment de mettre sous presse.