Pendant que l'armée s'est déployée le long de la rivière Richelieu, hier, des dizaines d'entreprises attendaient avec impatience que le niveau de l'eau redescende. Les inondations qui sévissent depuis quelques jours dans le secteur ont immergé plusieurs commerces, mais leur effet sur l'économie de la région est beaucoup plus lourd: bon nombre de travailleurs ne peuvent tout simplement pas se rendre au boulot.

Des poches de sable et des pompes empêchent l'eau de pénétrer dans l'immeuble de la Marina Fortin, à Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix. Le plancher est toujours sec, mais hélas, les coffres du commerce pourraient le devenir aussi, si la situation persiste. Cette période de l'année est d'ordinaire la plus lucrative pour l'entreprise. Et si la rivière continue de gonfler, c'est toute une saison qui pourrait tomber à l'eau.

«On ne peut plus mettre de bateaux à l'eau, soupire Jean-Denis Fortin, directeur du service dans l'entreprise. Au point de vue de la vente de bateaux, aussi, c'est terriblement affecté. Nous sommes dans les deux mois où nous amassons l'argent pour survivre le reste de l'année. Et en ce moment, c'est au point mort.»

Les quelque 35 employés de l'entreprise s'activent, non pas à déployer les quais dans le Richelieu, mais bien à empêcher l'eau de la rivière d'endommager les installations. La navigation sera sans doute interdite jusqu'au mois de juin, craint M. Fortin, ce qui lui fait redouter une année 2011 désastreuse.

«Au point de vue des pertes de l'entreprise, résume M. Fortin, ça va être épouvantable.»

La Marina Fortin n'est pas la seule dans cette fâcheuse posture. Le stationnement de la Marina Gosselin, située à quelques encablures en aval, est complètement submergé. Pas très invitant pour les clients qui veulent faire réparer leur bateau, sans compter que la mise à l'eau des embarcations est stoppée. La direction a dû fermer le restaurant de la marina, même si la crue des eaux n'a pas endommagé l'immeuble.

«Étant donné qu'on est aussi propriétaires de résidences près d'ici, il faut aussi s'occuper de nos maisons, dit la propriétaire, Christine Gosselin. Les nuits sont courtes.»

À Saint-Jean-sur-Richelieu, la rivière est à 90 centimètres au-dessus de son niveau habituel à ce temps-ci de l'année. On prévoit que l'eau pourrait grimper de 20 centimètres de plus d'ici vendredi, avant de baisser graduellement.

Les inondations se sont aggravées à Saint-Jean-sur-Richelieu, hier. Elles touchent maintenant des maisons à Otterburn Park et Carignan. La sécurité civile calcule que 2400 résidences sont inondées, et au moins 400 ont été évacuées.

Absentéisme

La vaste majorité des entreprises manufacturières de la région se trouvent dans des parcs industriels situés loin de la rive, souligne la directrice du Conseil économique du Haut-Richelieu, Sylvie Lacroix. Elles n'ont pas été endommagées par le débordement de la rivière, mais elles subissent quand même les contrecoups du sinistre.

Le Centre du camion Gamache, qui vend et répare des véhicules lourds, compte une centaine d'employés. Une douzaine manquent à l'appel par les temps qui courent, dit le vice-président Serge Gamache. Certains aident des proches à évacuer, d'autres sont des pompiers volontaires qui doivent aider leurs concitoyens.

«Ça ralentit beaucoup notre entreprise, indique M. Gamache. On a déjà beaucoup d'ouvrage et on manque de personnel.»

Pire, un acheteur et un préposé au service ont dû s'absenter, deux employés-clés qui ne peuvent être remplacés rapidement.

On ignore pour l'heure quelles seront les pertes économiques liées aux inondations. Pour l'heure, les efforts se concentrent sur la protection des résidences. Le Conseil économique du Haut-Richelieu est en contact avec les quelque 235 entreprises manufacturières de la région pour connaître leurs besoins. Les plus grosses parviennent à maintenir leurs activités malgré quelques absences, indique Sylvie Lacroix. Mais d'autres ont beaucoup plus de difficultés.

«Là où c'est problématique, c'est dans les plus petites entreprises où il y a moins d'employés, résume-t-elle. Les gens doivent faire des pieds et des mains pour limiter les dégâts dans leurs résidences personnelles, et souvent ils sont isolés.»

Astuce

Face au sinistre, certains entrepreneurs ont fait preuve de débrouillardise. Le Nautique, une marina qui comporte un restaurant à Saint-Jean-sur-Richelieu, a trouvé le moyen de rester ouvert, même si son terrain est submergé. Les employés ont bâti un pont d'une vingtaine de mètres de longueur pour lier sa porte d'entrée au plancher des vaches. Pour ce faire, il a récupéré les palettes qui servent à livrer des poches de sable.

Hélas, confie le propriétaire du commerce, Pierre Senécal, peu de clients ont récompensé ses efforts.

«Ce qui nous affecte le plus, c'est vraiment la rumeur, dit-il. Les gens pensent que nous sommes fermés alors que nous ne le sommes pas du tout.»