Les taxes scolaires continuent d'augmenter, alors que l'on compte 90 000 élèves de moins dans le réseau depuis cinq ans. Les hausses de taxes se vivent inégalement sur le territoire et ne paraissent plus liées à la hausse des valeurs foncières, selon une enquête de La Presse Affaires qui donne à penser que les contribuables devraient s'intéresser davantage à cette ponction fiscale. D'autant plus que les réponses données par le ministère de l'Éducation suscitent la perplexité.

Comprendre la logique de son compte de taxe scolaire est devenu pratiquement mission impossible depuis que le gouvernement du Québec a changé les règles du jeu en décembre 2006 dans le but de limiter à l'avenir les hausses de taxes. L'objectif était certes louable, mais la mécanique retenue crée des effets pour le moins discutables, a découvert La Presse Affaires.

Avant l'année scolaire 2007-2008, c'était passablement plus simple. C'était la valeur de la propriété, telle qu'elle apparaît au rôle foncier de la municipalité, qui déterminait en grande partie la hauteur du compte de taxes. Dans les faits, le taux de taxation plafonné de 0,35$ par 100$ d'évaluation était en vigueur dans 62 commissions scolaires sur 69. Le compte de taxes variait donc essentiellement en fonction de l'évolution de la valeur foncière. Si lors du dépôt d'un nouveau rôle triennal d'évaluation, la valeur d'une maison grimpe de 10%, les taxes scolaires suivent avec une augmentation de 10%.

Le système s'appuyait sur le principe de la richesse foncière. Le proprio d'une maison valant plus cher qu' une autre sur le territoire de la commission scolaire payait plus cher en taxes.

Ça, c'était avant. Le gouvernement de Jean Charest a introduit des changements dans la fiscalité scolaire. Pourquoi a-t-il agi ainsi? En résumé, le gouvernement a réagi à la grogne des contribuables, notamment ceux de Longueuil, qui ont vu leur compte de taxes augmenter dans les mêmes proportions que la hausse de la valeur foncière de leur propriété en 2006-2007. La Ville avait alors déposé un nouveau rôle en plein boom immobilier. Le rôle précédent avait été gelé pendant cinq ans, de 2001-2005, en raison des fusions et défusions municipales successives. Ça veut aussi dire que le compte de taxes scolaires des Longueuillois a été gelé pendant cinq ans. La valeur moyenne d'une maison unifamiliale dans l'arrondissement du Vieux-Longueuil avait bondi de 54% entre les deux rôles. Les taxes scolaires allaient suivre la même inflation.

(En fait, les contribuables de Longueuil ont vécu, en 2006, ce que les Montréalais ont vécu en 2004, à la différence que ces derniers n'ont pas été écoutés par le gouvernement qui a refusé à l'époque de donner suite aux demandes des autorités scolaires de l'île de Montréal d'adopter des mesures pour amoindrir l'impact sur les contribuables. Résultat? Hausse des taxes de 55 millions en un an dans l'île de Montréal en 2004-2005.)

Pour Longueuil, le gouvernement libéral a décidé d'agir cette fois en adoptant la loi 43 en décembre 2006. Elle a eu son effet à partir de l'année scolaire 2007-2008. En gros, elle limite la hausse annuelle des taxes à la croissance des dépenses d'une commission scolaire, soit environ 4% par année, à clientèle scolaire constante.

Le gouvernement a aussi décidé que ce plafond allait s'appliquer à l'égard de chaque municipalité d'une même commission scolaire. Qu'est-ce que ça veut dire? Pour simplifier, disons que les revenus de taxation scolaire en provenance d'une municipalité ne pourront augmenter de plus de 4% chaque année. Pour y arriver, la commission scolaire applique au besoin un taux de réduction de taxes propre pour chaque municipalité.

Compliqué, vous dites? Vous n'êtes pas seul. «J'avoue. Je ne peux pas aller plus loin de ce que je vous ai dit parce que je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire», a candidement reconnu François Vaillancourt, professeur d'économie à la retraite et chercheur au Cirano. M. Vaillancourt est pourtant auteur d'une étude sur le financement local de l'éducation pour le compte du ministère de l'Éducation. Il s'est dit néanmoins très intrigué par nos découvertes.

»On se dit tous que ça n'a pas de sens»

La méthode retenue en 2006 par le gouvernement entraîne des effets pervers visibles cinq ans plus tard. En vertu de ce système, au sein d'une même commission scolaire, le taux de taxation effectif sera plus élevé dans les villes qui connaissent les plus faibles hausses de valeurs foncières et le taux de taxation sera plus faible dans les villes dont les valeurs ont explosé. Bref, les riches paient moins, les pauvres paient plus.

«Je suis d'accord avec vous que c'est vicieux. Ce n'est pas sûr que les économistes ou ceux qui ont pensé à cette loi ont vu les conséquences de tout ça à l'avenir», dit Angèle Latulippe, directrice des ressources financières à la Commission scolaire des Patriotes, en Montérégie.

Ce n'est pas le seul effet pervers. Les contribuables d'une municipalité connaissant une explosion démographique, comme Saint-Amable, à la Commission scolaire des Patriotes, sont avantagés. Comme les revenus de taxation à percevoir se répartissent sur une assiette fiscale plus grosse, l'effort exigé par chacun des contribuables de la ville diminue d'une année à l'autre, même si la valeur foncière des immeubles est en forte hausse.

En quatre ans, entre 2007 et 2010, la population de Saint-Amable a augmenté de 16,5%, à 10 315 habitants, tandis que celle de Saint-Charles-sur-Richelieu est restée stable, à 1706 personnes. Les citoyens de Saint-Amable sont taxés à un taux effectif de 0,1937$ du 100$ d'évaluation en 2010-2011 et ceux de Saint-Charles sont taxés à un taux de 0,2528$. Avant la réforme, les deux groupes étaient taxés à 0,35$.

Ce résultat paraît illogique, car une population en hausse se traduit par plus d'élèves donc plus d'écoles et, par conséquent, par plus de dépenses et, donc, par plus de taxes pour les financer. Or, dans ce cas-ci, une population en hausse se traduit par moins de taxes par propriétaire.

«Vous savez, quand le Ministère est arrivé avec ces changements et qu'on a commencé à constater des choses qui étaient bizarres, on s'est tous dit que le gouvernement allait changer la loi un moment donné, dit Mme Latulippe. Comme directeur de finances, quand on parle de ça, on se dit tous que ça n'a pas de sens.»

La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a-t-elle quelque chose à rajouter?

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Évolution des taxes scolaires depuis 2003-2004 (Cinq exemples)

La Prairie

Maison de la rue Rouillier

Variation des taxes

+47,6%

Évolution de la valeur foncière

+75,3%

Laval

Maison de la rue Laporte

Variation des taxes

+8,7%

Évolution de la valeur foncière

+57%

Longueuil

Maison de la rue De Bretagne

Variation des taxes

+14,2%

Évolution de la valeur foncière

+75%

Montérégie

Maison de la rue des Chênes à Saint-Amable

Variation des taxes

-3,9%

Évolution de la valeur foncière

+57,8%

Montréal

Maison de la place Lacordaire à Saint-Léonard

Variation des taxes

+25,9%

Évolution de la valeur foncière

+84,8%