Doit-on forcer les travailleurs à épargner, comme en Suède? Peut-on imposer la création d'un régime de retraite dans toutes les entreprises, comme en Norvège? Dans la troisième et dernière partie de notre reportage sur la réforme des retraites à la mode scandinave, La Presse Affaires se penche sur les solutions qui pourraient être importées au Québec et au Canada...

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La campagne REER? Les Norvégiens ne stressent pas avec ça! Ils savent que leur régime de retraite suffira. Ils dépensent tout leur salaire. La fin de semaine, ils vont magasiner en Suède, où des centres d'achats les attendent juste de l'autre côté de la frontière. Il existe même une expression pour ces expéditions: Harry Tur, ou «voyage quétaine», parce que les gens ont un peu honte. «Mais ils peuvent économiser presque 50% sur la viande et l'alcool», raconte Kristine Thelle, attablée au LitteratureHuset, un restaurant/librairie au coeur d'Oslo.

Norvégienne «pure laine», Kristine Thelle est bien placée pour comparer le Québec et la Norvège car son conjoint est Québécois.  Oui, tout coûte très cher en Norvège, convient la mère de trois enfants. Mais la qualité de vie est fantastique. Les salaires sont nettement supérieurs. Les journées de travail sont moins longues. En comptant les fériés, il y a pratiquement huit semaines de congé par année. Et les travailleurs n'ont pas à se casser la tête avec la retraite, comme au Québec.

«Le contrat social est plus généreux. Les individus n'ont pas autant de pression pour préparer la retraite en Norvège. C'est ça, la structure sociale démocratique», confirme Carl Bang. Établi à Montréal, le Norvégien d'origine a dirigé la filiale du géant State Street, au Canada et en France.

Au Canada, il y a un gros manque, constate le financier. «Dans 20 ans, la faiblesse va ressortir, prédit-il. Une partie de la population n'aura pas un niveau de vie qui est souhaitable.»

Les limites de l'État

Contrairement aux Scandinaves et aux Européens en général, les Canadiens ne peuvent pas se fier sur l'État pour la retraite... sauf les moins nantis.

En fait, le Canada est un champion de la lutte à la pauvreté chez les aînés. Moins de 5% des personnes âgées de plus de 65 ans vivent sous le seuil de la pauvreté, par rapport à 13% pour les pays de l'OCDE, et à 24% aux États-Unis.

Les travailleurs qui gagnent moins que 25 000$ n'ont pas trop à s'en faire. Les programmes gouvernementaux leur fourniront, à 65 ans, l'équivalent d'au moins 70% de leurs revenus d'emploi.

Il en va tout autrement pour la classe moyenne et supérieure. Pour un salarié qui gagne 60 000$, par exemple, la Régie des rentes du Québec (RRQ), la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et le supplément de revenu garanti (SRG) ne remplaceront que le tiers des revenus d'emploi, à 65 ans.

Autrement dit, les travailleurs qui gagnent présentement 60 000$ ou davantage devront se contenter de moins de 20 000$ à la retraite, s'ils n'ont pas d'autres ressources. Un choc.

Les patrons démissionnent

Dans le passé, les employés pouvaient compter sur le régime complémentaire de retraite de leur employeur. Mais ces régimes sont en voie de disparition. Au début des années 90, presque la moitié de la main-d'oeuvre (45%) était couverte. Désormais, ce n'est plus que 38%... essentiellement des employés de la fonction publique ou de grandes entreprises.

Dans le secteur privé, plus des trois quarts (76%) des travailleurs n'ont aucun régime de retraite, indique Patrik Marier, professeur à l'Université Concordia.  On pense surtout aux travailleurs autonomes, aux employés de PME...

«Chez les jeunes, la proportion est encore plus élevée, ce qui est particulièrement alarmant», précise M. Marier dans une étude intitulée Improving Canada's Retirement Saving.

Et le trou dans la couverture privée de retraite ne cesse de s'élargir, car beaucoup d'entreprises réduisent ou abolissent leur régime, les jugeant trop lourds à porter.

L'échec du REER

Le fardeau retombe sur les épaules des travailleurs qui doivent se débrouiller seuls pour la retraite. Pour avoir l'équivalent d'un bon régime de retraite, ils doivent cotiser au maximum à leur REER, en y versant 18% de leur salaire chaque année. Mais seule une infime minorité le fait.

Seulement le tiers (31%) des contribuables admissibles cotisent à leur REER, pour une contribution médiane d'environ 2 800$, ce qui ne représente un maigre 6% des droits de totaux disponibles, selon le Groupe de travail sur la littératie financière.

Mais il y a pire: «Un nombre élevé de cotisants retirent, pour d'autres fins que la retraite, les sommes accumulées dans leur REER avant la retraite», indique l'actuaire Claude Castonguay, dans Le Point sur les pensions.

Ainsi, malgré 50 ans d'existence, le REER reste une source de revenu marginale pour les retraités qui en tirent moins de 2% de revenus totaux.

Si rien n'est fait, la moitié des travailleurs subira une baisse significative de son niveau de vie à la retraite, calcule la RRQ.

«Il est urgent d'agir, sinon il y aura un problème encore plus criant au Québec dans 20 ans», insiste M. Marier.

Les baby-boomers en souffriront, bien sûr. «Mais les gens de 40 ans sont dans une situation bien plus grave», estime M. Marier. Plusieurs n'ont jamais eu de régime de retraite de leur vie. Ils ont payé leur maison très cher, ce qui limite leur capacité d'épargner pour la retraite.

Le modèle scandinave

En Scandinavie, les politiciens ont pris le taureau par les cornes.

La Norvège a forcé tous les employeurs à offrir un régime de retraite. Depuis 2006, chaque entreprise doit y verser au moins 2% du salaire de ses employés. La contrainte a rapidement été digérée par les sociétés, y

compris les PME qui n'étaient pas très contentes au départ.

Cette solution a le mérite de couvrir tous les travailleurs avec un régime simple et peu coûteux en frais de gestion. Mais au Canada, un tel modèle rencontrerait une vive opposition de la part de l'industrie des services financiers, car il ferait concurrence au REER, prédit M. Marier.

Forcer les employeurs à contribuer à la retraite de leurs employés est loin de faire l'unanimité. À peine sorti de la récession, certains craignent qu'un fardeau additionnel ne nuise à leur compétitivité sur la scène internationale.

De son côté, la Suède a intégré à son régime public des comptes de retraite individuels qui prévoient des contributions obligatoires de 2,5% du salaire (partagée entre l'employeur et l'employé).

Tel quel, le système a peu de chance de faire école au Canada, croit M. Marier. L'idée d'insérer une composante privée à l'intérieur de la RRQ a déjà été abordée, mais elle a fait long feu. «Pour que ça fonctionne,  il faudrait que ces comptes privés soient au-dessus de la RRQ, dit-il. Et le taux de cotisation devrait être bien plus haut que 2,5%.»

Mais l'épargne forcée n'a pas la cote au Québec. Tous les partis politiques ont rejeté en bloc l'idée d'un REER obligatoire, proposée par Claude Castonguay en janvier.

Des kiwis pour la retraite

Le Groupe de travail sur la littératie financière, formé par le ministre des Finances du Canada, préconise plutôt une formule hybride. Dans son rapport publié la semaine dernière, il recommande, «que les employeurs offrent des programmes et des outils d'épargne automatique afin d'encourager les Canadiens à pratiquer l'épargne durant toute leur vie.»

Les études sur le comportement démontrent que les gens savent qu'ils doivent épargner, planifier leur retraite, suivrent leur portefeuille... mais que l'inertie les empêchent souvent de passer aux actes.

Au lieu de les forcer, on peut mettre en place un mécanisme d'adhésion automatique assortie d'une option de retrait pour ceux qui refusent de participer. En milieu de travail, un régime de retraite doté d'un tel système permet d'atteindre rapidement un taux de participation de presque 100%, contre seulement 65% après trois ans avec une formule classique d'adhésion volontaire, démontrent des études.

Le Royaume-Uni doit lancer une formule semblable, en 2012. La Nouvelle-Zélande l'a fait en 2007. Depuis, tous les nouveaux travailleurs adhèrent automatiquement à un régime de retraite baptisé KiwiSaver. Mais ils peuvent s'en retirer au cours des premières semaines suivant leur embauche. Les contributions minimales sont de 4% du salaire, partagées entre l'employeur et l'employé. Les sommes sont investies dans une solution de placement par défaut, mais les individus ont le choix d'investir ailleurs.

Est-ce la panacée? Il s'agit d'un compromis intéressant entre l'épargne volontaire et obligatoire. «Mais pour être optimale, l'adhésion automatique nécessite des mesures incitatives additionnelles», dit M. Marier.

Mais peu importe la solution qui sera retenue, l'important est d'agir vite... et de ne pas s'enfarger dans les fleurs du tapis.

«Le gros problème dans tous les pays, c'est que l'on commence par discuter des détails techniques», fait remarquer Karl Gustaf Scherman, ancien directeur l'Agence de retraite suédoise. «Mais la première question est: Quand vous serez vieux, voudrez-vous maintenir un niveau de vie raisonnable?» Si oui, il faudra payer le prix.