La culture et les communications font l'objet de beaucoup de préjugés: des entreprises aux crochets de l'État, des quêteuses de subventions, des artisans rêveurs, gauchistes attardés qui chôment la moitié du temps, etc.

Si ces idées sont tenaces, c'est peut-être qu'on connaît mal la réalité économique de cette industrie en partie impalpable.

Il n'existe pas de mesure de sa part dans l'économie. C'est cette lacune que Joëlle Noreau, du Mouvement Desjardins, tente de combler dans le dernier numéro de Perspective. Dans son étude louable «Prendre la mesure de l'insaisissable», l'économiste évalue à de 3,8% à 4,9% le poids de la culture et des communications dans l'économie québécoise.

«Cette approximation se compare avantageusement à celle du secteur de la construction résidentielle (autour de 2% du produit intérieur brut québécois) et à celle de la distribution et du transport d'électricité (respectivement entre 3,4% et 3,7% ces dernières années)», écrit-elle.

Si cette part dépassait 4%, cette industrie «pourrait se mesurer au transport et à l'entreposage» soit de 4,4% à 4,5% du produit intérieur brut (PIB) québécois selon les années.

Faisons grâce au lecteur des détours méthodologiques que l'économiste a dû emprunter pour soupeser l'insaisissable et concentrons-nous sur le portrait à grands traits qu'elle esquisse.

Selon les données du recensement de 2006, l'industrie comptait alors 120 000 travailleurs. Qui sont-ils? «Des professionnels des relations publiques, des graphistes, des traducteurs, des musiciens, des chanteurs, du personnel de soutien et des aides dans le cinéma ou dans la radiotélévision et les arts de la scène». Sans oublier «peintres, sculpteurs, acteurs, concepteurs d'exposition, bibliothécaires, journalistes, danseurs, photographes, annonceurs, archivistes, designers», etc.

Mme Noreau estime à 3 sur 10 la proportion de travailleurs autonomes, ce qui est presque trois fois plus élevé que le taux moyen québécois.

Les salariés de cette industrie gagnent toutefois souvent plus que le salaire hebdomadaire industriel moyen de 751$, selon les données de 2008.

Les mieux payés se retrouvent dans les journaux et périodiques (940$), les moins rémunérés dans les magasins de livres, de disques et d'articles de musique (489$).

Mme Noreau décortique les revenus de la scène, selon la discipline. Sans surprise, on découvre que les variétés (qui incluent l'humour et le cirque) s'arrogent la part du lion avec 111,2 des 274,6 millions de revenus de billetterie, en 2009, alors que la danse ne récolte que 8,5 millions.

Les variétés arrivent aussi en tête du revenu moyen par représentation (35 613$) soit plus de six fois celui d'une représentation de théâtre.

Mme Noreau fait un constat étonnant: de 2005 à 2009, le nombre de représentations a augmenté «pour toute la période, même en 2009, année de récession».

L'économiste fait aussi ressortir l'importance de l'imprimé au Québec: le volume des ventes de livres écrase celui des billets de cinéma, des vidéogrammes, et des enregistrements sonores avec des ventes finales de 811 millions en 2009 avec une part de marché de 42% pour les éditeurs québécois.

Le cinéma d'ici ne se tire pas trop mal d'affaire avec un nombre de productions qui dépasse celui de l'Australie, plus peuplée, bon an, mal an, depuis 2004.

Reste qu'en matière de stricte culture, le Québec souffre d'un déficit commercial, à l'image de l'ensemble de l'économie. En 2008, la valeur des importations supplantait celle des exportations de 343,3 millions. Le livre à lui seul accuse un déficit de 179,7 millions, comparativement à 142 millions pour le cinéma et la télé dont les exportations sont cinq fois plus élevées à hauteur de 387,8 millions, selon la compilation de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, citée par Mme Noreau.

Le secteur privé est très présent dans les médias et les arts de la scène. La part de l'État provincial équivalait à 122,66$ par habitant en 2008-2009, dont les allocutions sont surtout allées aux bibliothèques et aux musées. La part fédérale équivalait à 166,85$ dont la moitié a servi au financement de la CBC/Radio-Canada.

La concurrence américaine et française reste un des grands défis que devra relever l'industrie de la culture et des communications. Les autres sont le déploiement de la révolution numérique qui recèle à la fois des dangers et des opportunités, et l'augmentation plus rapide des prix des aliments, du logement et de l'essence que l'inflation générale qui force les individus à faire des choix dans leur consommation discrétionnaire.

Et de conclure Mme Noreau: «Il n'y aura pas de répit pour la culture et les communications.»

Nous sommes tenté d'ajouter: ni pour les économistes qui s'échinent à capter l'insaisissable qui évolue dans des univers réel et virtuel.