La direction de Prysmian demandait d'importantes concessions à ses 200 employés de Saint-Jean-sur-Richelieu. Insatisfaits du déroulement des négociations, ils ont déclenché une grève en avril 2009. Le syndicat a officiellement cessé ses moyens de pression, il y a trois semaines. L'usine est fermée depuis des mois. Et tout indique qu'elle ne rouvrira jamais.

Prysmian, dont le siège social est en Italie, est le numéro deux mondial du câble électrique. C'était aussi un important fournisseur d'Hydro-Québec. La fermeture de son usine de la Rive-Sud de Montréal ne l'a guère empêché de brasser des affaires avec la société d'État. Il lui a simplement vendu des câbles fabriqués dans ses établissements d'Ontario et de Caroline-du-Sud.

«Si les contrats en cours n'avaient pu être transférés vers l'Ontario et les États-Unis, c'est certain qu'on aurait un meilleur rapport de force», convient Dominic Lemieux, du Syndicat de Métallos.

Cet exemple démontre que la loi qui interdit à une entreprise en grève ou en lock-out de recourir à des travailleurs de remplacement n'empêchera jamais une société de contourner des moyens de pression, dit Alain Barré, professeur de relations industrielles à l'Université Laval. En fait, dit le chercheur, cette loi est carrément inefficace dans une économie mondialisée.

«On a beau avoir un régime anti-briseurs de grève absolument étanche, on ne pourra jamais toucher aux entreprises qui ont des établissements à l'extérieur du Québec», affirme M. Barré.

Une loi désuète?

Le Code du travail prévoit que seul un cadre embauché avant une grève ou un lock-out peut effectuer le travail des syndiqués lors d'un conflit. Le texte précise que les travailleurs de remplacement sont interdits «dans l'établissement».

Les syndicats affirment que le lock-out au Journal de Montréal prouve la désuétude de la loi, qui date de 1977, lorsque l'internet et les téléphones cellulaires n'existaient pas. Peu avant le conflit de travail, Quebecor a mis sur pied l'Agence QMI, qui est alimentée par différentes publications de l'empire médiatique, telles que 24 heures et 7 jours. Les textes qui sont produits dans les différentes antennes de l'entreprise sont ainsi mis en commun, et peuvent être reproduits dans le Journal de Montréal.

Le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM) affirme que la stratégie équivaut à l'embauche de briseurs de grève. Mais la Commission des relations de travail a rejeté sa plainte. L'Agence QMI, affirme-t-elle, n'est qu'un «outil informatique» au service des différentes entreprises que constituent Quebecor.

La Cour supérieure a également tranché en faveur de l'entreprise. En outre parce que, grâce aux outils technologiques, personne n'effectue le travail des syndiqués «dans» les locaux du Journal de Montréal.

«On ne peut pas être hypocrite et laisser cette loi se détériorer sans l'actualiser par rapport aux nouvelles réalités du milieu du travail», affirme Claudette Carbonneau, présidente de la CSN.

Le gouvernement de René Lévesque voulait rétablir le rapport de force entre syndicats et patrons à une époque où les grèves étaient longues et violentes, souligne la leader syndicale. Or, la longueur des lock-out au Journal de Québec (16 mois) et au Journal de Montréal (2 ans) démontre que les syndiqués n'ont plus le moindre rapport de force face à leur employeur.

Et si rien n'est fait, craint Mme Carbonneau, les travailleurs d'autres industries pourraient écoper.

Les organisations patronales en conviennent, la portée de la commission parlementaire dépasse largement la seule industrie des médias.

«Ce qui teinte malheureusement le débat, c'est que les deux premiers intervenants dans la commission parlementaire seront le STIJM et Quebecor», indique Denis Hamel, vice-président affaires publiques de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

Changements technologiques

Les représentants du milieu des affaires se méfient de tout changement aux règles sur les travailleurs de remplacement. Difficile en effet de mesurer leur impact dans un contexte où les avancées technologiques modifient chaque jour le monde du travail québécois.

«Aujourd'hui, le travail se fait de plus en plus de façon virtuelle, souligne Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. Le télétravail existe davantage et les entreprises peuvent répartir leurs activités dans plusieurs établissements.»

Les petites entreprises sont plus susceptibles de souffrir d'un resserrement de la loi, soutient la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI). Car, contrairement aux grandes, elles n'ont pas les moyens de déplacer leur production en cas de grève ou de lock-out.

«Ces dispositions du Code du travail sont déjà très pénalisantes pour les PME au Québec, affirme Martine Hébert, vice-présidente de la FCEI au Québec. Alors n'importe quelle mesure qui viendrait renforcer ces dispositions serait extrêmement préoccupante.»

Avec la Colombie-Britannique, le Québec est le seul gouvernement en Amérique du Nord à s'être doté d'une loi anti-briseurs de grève. Selon Denis Hamel, cette règle a fait pencher la balance en faveur des travailleurs lors des conflits de travail.

Selon Laurence-Léa Fontaine, professeure au département des sciences juridiques de l'UQAM, les métiers qui pourraient être affectés par de nouvelles lois anti-scabs sont légion. Les professeurs qui enseignent à distance. Les concepteurs de logiciels. Les téléphonistes. Autant de travailleurs dont les tâches peuvent être effectuées n'importe où.

«Tout ce qui touche les nouvelles technologies, résume la chercheuse. Tous les métiers qui feraient face à une modernisation des instruments de travail, à une désincarnation et à une virtualisation des lieux de travail.»

Qu'importent les avancées technologiques, la loi n'est pas désuète du tout, estime le professeur Alain Barré. En fait, dit-il, les décisions favorables à Quebecor auraient facilement pu être rendues il y a 20 ans.

«L'objectif du régime, c'était d'éliminer la violence sur les piquets de grève face aux établissements où se déroulaient des conflits de travail, affirme le professeur. Il n'a jamais été envisagé d'empêcher un employeur de faire du travail à l'extérieur.»