La fonction publique municipale coûte plus cher à Montréal que dans toute autre grande ville québécoise. Et pas seulement parce que la Ville compte plus d'employés: chacun de ceux-ci coûte en moyenne 100 000$ par année aux contribuables.

Avec l'aide de l'économiste Jean-Pierre Aubry, fellow associé au centre de recherche CIRANO, La Presse Affaires a compilé les salaires et les avantages sociaux que les principales villes québécoises versent à leurs employés. À ce total, nous avons ajouté les charges sociales que les villes versent aux gouvernements pour chaque travailleur, par exemple des cotisations à l'assurance-emploi.

Dans les cas de Montréal et de Longueuil, nous avons produit une estimation parce que des employés de ces deux municipalités offrent aussi des services à des villes défusionnées.

«J'ai l'impression que les municipalités sont plus ou moins en concurrence les unes avec les autres, estime Jean-Pierre Aubry. C'est un milieu fortement syndiqué et, si l'un demande ceci, l'autre demandera cela. De sorte que, de négociation en négociation, il y a une spirale qui s'est créée.»

Les hausses de salaire ont essentiellement suivi le rythme de l'inflation depuis 1991, affirme le directeur des ressources humaines de la Ville de Montréal, Jean-Yves Hinse.

Il reste que les embauches au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), au Service des incendies de Montréal (SIM) et ailleurs dans l'appareil municipal pour renforcer son expertise interne ont entraîné un bond de 20% de la masse salariale depuis deux ans.

Le coût des travailleurs de Montréal, Québec, Laval, Gatineau, Longueuil, Sherbrooke et Trois-Rivières s'élève à près de 92 000$ par année lorsqu'on additionne la masse salariale de chacune des ces villes et qu'on divise le total par le nombre d'employés. Le salaire de base moyen est d'environ 66 000$.

En guise de comparaison, le salarié moyen dans la province gagne 38 500$, un chiffre qui ne tient pas compte des avantages sociaux.

Pas d'économies d'échelle

La création de villes fusionnées devait entraîner d'importantes économies d'échelle, avait affirmé le gouvernement péquiste à l'époque. Jean-Pierre Aubry affirme que cette promesse ne s'est jamais concrétisée. Et la défusion effectuée par le gouvernement libéral n'y a rien changé.

«Il ne semble pas y avoir d'économies d'échelle : les grandes villes ne peuvent pas offrir les mêmes services à moindre coût, remarque Jean-Pierre Aubry. Peut-être offrent-elles plus de services, peut-être qu'il y a une certaine inefficacité, ou les centres municipaux importants doivent payer des coûts importants parce que les banlieusards s'y rendent.»

Ce constat ne surprend guère la professeure Danielle Pilette, du département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM. La chercheuse affirme qu'il a depuis longtemps été démontré que la bureaucratie coûte plus cher dans les grandes villes que dans les petites.

«C'est rêver en couleur! s'exclame-t-elle. Ça ne marche pas dans le municipal.»

Des grandes villes peuvent réaliser des économies pour certains services comme la collecte des ordures et le traitement de l'eau, explique-t-elle, car ces opérations requièrent des investissements importants et peuvent desservir une grande population. Mais d'autres services, par exemple les pompiers, requièrent une main-d'oeuvre abondante et une logistique complexe. Il faut donc davantage de cadres et de professionnels pour en assurer le bon déroulement.

Dans une étude parue en novembre, l'Institut statistique du Québec a comparé les conditions de travail dans la fonction publique provinciale, la fonction publique municipale et le secteur privé. À métier égal, l'organisme a conclu que les fonctionnaires provinciaux gagnaient 2% de plus que les travailleurs du secteur privé en tenant compte du salaire, des avantages sociaux et des heures travaillées.

Mais toujours à métier égal, les fonctionnaires provinciaux gagnaient 30% moins que leurs confrères du secteur municipal.

Selon Jean-Yves Hinse, cet écart est directement lié à la décision du gouvernement Lévesque de réduire les salaires de la fonction publique provinciale en 1982. Les salaires des fonctionnaires provinciaux et municipaux ont simplement progressé au même rythme depuis, de sorte que la différence ne s'est jamais comblée.

N'empêche, les conditions de travail de certains fonctionnaires municipaux sont «éhontées», dit Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). Selon elle, les villes doivent réviser certains avantages au plus vite. D'autant plus que les contribuables qui voient leur impôt foncier grimper chaque année sont de plus en plus rares à jouir d'une rémunération aussi enviable.

«À une certaine époque, peut-être avons-nous voulu attirer des gens dans ces services, indique Mme Bertrand. Ça avait un certain sens quand les nombres étaient mesurés. Mais ça s'est accru de façon tellement importante, avec des conditions de travail tellement avantageuses qu'on n'en a plus les moyens.»

Le salaire moyen que nous obtenons à Montréal pourrait être quelque peu surévalué, a-t-on indiqué au service des finances de la Ville, auquel nous avons soumis notre estimation. Il reste qu'à quelques centaines de dollars près, les policiers, pompiers, cols bleus, cols blancs et élus montréalais gagnent 69 000$ par année, un salaire de base comparable aux employés des autres municipalités. En tenant compte des avantages sociaux, leur rémunération annuelle bondit à environ 94 000$.

Plus de policiers et de pompiers

Le salaire moyen n'est pas une mesure valable des conditions de rémunération des employés municipaux, affirme Jean-Yves Hinse. Selon lui, il faut comparer entre eux les travailleurs de chaque métier, par exemple les pompiers, pour déterminer si la fonction publique coûte trop cher.

Le salaire moyen élevé des employés de la métropole témoigne plutôt des besoins de la Ville, poursuit-il. Montréal doit en effet composer avec une série de problèmes spécifiques à une métropole, ce qui l'oblige à embaucher davantage d'employés spécialisés.

«Quand on regarde la spécificité de Montréal par rapport aux autres villes, au niveau des policiers et des pompiers, c'est pratiquement le tiers de la main-d'oeuvre, souligne M. Hinse. Et, lorsque ces employés atteignent le haut de l'échelle salariale, il est clair qu'ils gagnent plus de 100 000$ en tenant compte de leurs avantages sociaux.»

Le Service de police de la Ville de Montréal, par exemple, est le seul corps policier municipal qui doit répondre à des exigences gouvernementales dites «de niveau 5». Il doit ainsi se doter de diverses escouades pour combattre le crime organisé et une équipe spécialisée dans les interventions nautiques.

Le Service des incendies de Montréal doit lui aussi composer avec des problèmes précis qui l'obligent à gonfler ses effectifs. La Ville demande en outre aux pompiers d'agir comme premiers répondants lors d'appels d'urgence, une tâche pour laquelle ils touchent un salaire supplémentaire. Et la révision du schéma de couverture a obligé les autorités à embaucher une centaine de pompiers dans les deux dernières années.