Son nom n'est pas aussi connu que les Lemaire, Péladeau, Beaudoin ou Desmarais du Québec inc. Et la société qu'il a dirigée, Theratechnologies, ne compte pas le nombre d'employés de Bombardier ou la capitalisation boursière de CGI.

Mais le 11 novembre dernier, Yves Rosconi a frappé un coup de circuit quand la Food and Drug Administration (FDA), chien de garde du marché américain, a autorisé la vente aux États-Unis du médicament sur lequel Theratechnologies planchait depuis 15 ans.

«Faire approuver un produit entièrement conçu ici, c'est grandiose, souligne Paul Lévesque, président pour le Canada de la multinationale pharmaceutique Pfizer. Ça démontre qu'il y a encore de l'expertise chez nous. Ça démontre qu'il y a de l'espoir. Ça démontre que quand les gens travaillent ensemble, on est encore capable de grandes choses à Montréal.»

Chaque année, les plus grandes multinationales de la planète frappent aux portes du marché le plus convoité du monde dans l'espoir d'y faire approuver leurs médicaments. Les élus sont rares: bon an, mal an, seule une vingtaine de molécules parviennent à obtenir le feu vert.

Voir une petite boîte de Montréal réussir l'exploit est donc un événement extrêmement rare.

Le produit gagnant de Theratechnologies s'appelle Egrifta, médicament qui aidera les patients atteints du VIH à combattre la lipodystrophie. Cette condition répartit les graisses de façon anormale dans le corps, en creusant les joues et en grossissant l'abdomen.

Étape cruciale

La percée représente une étape cruciale à la fois pour Theratechnologies et pour l'ensemble de l'industrie québécoise des biotechnologies, un secteur qui connaît des temps difficiles et n'avait pas accouché de grand succès depuis celui de Biochem Pharma, dans les années 90.

À moins d'avoir des talents cachés de comédien, le principal intéressé ne s'attendait manifestement pas à décrocher le titre de PDG de l'année au Québec.

«Je tombe en bas de ma chaise, s'est exclamé Yves Rosconi en apprenant sa nomination. Je suis extrêmement honoré et extrêmement surpris. C'est vraiment un travail d'équipe qu'on a fait chez Thera, et ça fait un peu drôle d'avoir les projecteurs sur moi.»

Virage

Paul Pommier, président du conseil de Theratechnologies, acquiesce: la mise au point de l'Egrifta a été un travail d'équipe. Une équipe qu'Yves Rosconi a largement contribué à recruter.

«Yves est une personne qui a une grande chaleur humaine, dit-il. Ça lui a permis, au fil des ans, de se bâtir une équipe. Il a pu attirer des gens très compétents.»

Il décrit l'arrivée d'Yves Rosconi à la présidence de Theratechnologies comme un «événement pivot» pour l'entreprise. C'était en 2004, alors que M. Rosconi cherchait un nouveau défi après avoir roulé sa bosse partout dans le monde au sein des plus grandes sociétés pharmaceutiques.

«Quand Yves est arrivé chez Thera, nous étions une jeune biotech prometteuse, mais on courait un peu aux quatre vents. On trouvait une nouvelle molécule, on créait une filière, on partait sur autre chose... On manquait de structure et d'orientation», raconte M. Pommier.

M. Rosconi est arrivé en établissant des priorités.

«Il a mis peut-être cinq ou six mois. Il a fait des études de marché. Puis il a identifié la tésamoréline (la molécule derrière l'Egrifta) dans le marché de la lipodystrophie et il a dit: on part avec ça», se souvient M. Pommier.

Ce n'est pas tout le monde qui a apprécié le virage.

«Yves a donné à chaque service des objectifs à atteindre, et la rémunération des gens était basée là-dessus. Pour certains chercheurs qui étaient habitués à un climat plus universitaire, ça a été un choc. Mais ceux-là sont partis et Yves les a remplacés par des gens plus engagés et plus motivés», raconte M. Pommier.

Redynamiser le secteur

Paul Lévesque, président de Pfizer Canada, note que M. Rosconi est l'un des rares du milieu des sciences de la vie à avoir fait carrière au sein des grandes pharmaceutiques avant de tout laisser tomber pour prendre la barre d'une petite entreprise sans revenus.

«Dans un contexte où on parle d'arrimage entre la grosse pharma et la petite biotech, je trouve ça intéressant», dit-il.

Les deux hommes se connaissent bien. Il y a quelques semaines à peine, Yves Rosconi était encore la voix du secteur de la biotechnologie au Québec à titre de président du conseil de BioQuébec. Cette fonction l'a aussi amené à siéger au conseil de Montréal InVivo, grappe de tout le secteur montréalais des sciences de la vie - un organisme que préside justement Paul Lévesque.

Ce dernier vante les idées apportées par M. Rosconi pour redynamiser le secteur québécois.

«Yves a vraiment le désir de trouver des mesures et des arrimages qui sont gagnants pour tout le monde - les biotechs, le monde universitaire, les gouvernements et la grande pharma. Je l'ai entendu plusieurs fois arriver avec des idées très innovantes.»

«Il a une très grande passion pour l'industrie. L'économie du savoir, il y croit profondément. Et ça se traduit par des actions», souligne Mario Lebrun, directeur général de BioQuébec, qui dit avoir perdu un «complice» depuis le départ de M. Rosconi.

Verbomoteur, énergétique, souvent enflammé, Yves Rosconi dégage effectivement un charisme peu commun.

«Je me souviens d'un étudiant affable, porté sur les autres, extroverti. Là-dessus, il n'a pas changé», dit Jacques Gagné, ancien professeur de pharmacie qui lui a enseigné avant de le retrouver, lui aussi, au sein de Montréal InVivo.

«Yves est un homme astucieux, entier, impulsif. Quand il croit à quelque chose, il va mettre tous les efforts possibles pour y arriver. Quand il s'engage, il ne s'engage pas à moitié. Il s'engage», ajoute M. Gagné.

Retraite et... projets

Le 30 novembre dernier, M. Rosconi a pris plusieurs personnes par surprise en prenant sa retraite. Mais oubliez les pantoufles et les mots croisés: à 57 ans, l'homme déborde de projets.

Voyages, ébénisterie, missions dans les pays en voie de développement pour Pharmaciens sans frontières: entre les nouvelles aventures, Yves Rosconi veut continuer à défendre la cause du secteur québécois des sciences de la vie.

Mais c'est désormais en occupant des postes sur les conseils d'administration de jeunes entreprises qu'il le fera.

«Je veux aider les plus jeunes à naviguer dans cet environnement difficile, a-t-il confié à La Presse Affaires lors de son départ de Theratechnologies. Je veux jouer un rôle de mentorat. Je veux transmettre ce que j'ai appris.»