Les entrepreneurs québécois passent à côté de belles occasions d'affaires en accouchant d'ingénieuses inventions... mais en omettant de les breveter.

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C'est le message lancé par Mireille Jean, ex-entrepreneure qui parcourt maintenant la province pour inciter les dirigeants de PME à utiliser les brevets à leur avantage.

«On le sait: au Québec, nos entrepreneurs sont inventifs. On le voit dans le monde artistique et on a la même énergie créatrice dans le monde entrepreneurial. Mais actuellement, ces gens-là passent à côté de quelque chose d'important qui s'appelle les brevets», a-t-elle dit à La Presse Affaires en marge d'une conférence intitulée Innover c'est bien... breveter c'est mieux!

L'allocution fait partie d'une tournée provinciale qui s'arrêtait à Laval mercredi avant de passer par Montréal à la mi-décembre.

Mme Jean n'est pas la seule à sonner l'alarme. Hier, l'Institut de la statistique du Québec a justement publié de nouvelles statistiques sur l'innovation, affirmant que le Québec est en mode «rattrapage» quand il s'agit de protéger sa propriété intellectuelle.

On y apprend que la province a déposé 99 brevets par million d'habitants en 2008. C'est presque deux fois moins que la moyenne des pays du G7 (182 brevets par million d'habitants) et significativement moins que la moyenne canadienne (119).

Des pays comme le Japon et les États-Unis, qui déposent respectivement 268 et 263 brevets par million d'habitants, sont loin devant.

Mince consolation: depuis 1993, le taux de brevets croit de 4,1% par année au Québec - une croissance moindre qu'en Ontario, mais supérieure à celle de tous les autres pays du G7.

Une vente payante

Selon Mme Jean, le manque d'intérêt des entrepreneurs québécois envers les brevets a une conséquence: il prive les entreprises de revenus.

«Les brevets, ça peut être très payant», dit-elle. Et elle est bien placée pour le savoir.

En 2007, elle-même a vendu à la multinationale IBM le portefeuille d'une vingtaine de brevets de Trioniq, boîte de fabrication de produits de haute technologie qu'elle avait fondée avec deux copains quelque 20 ans plus tôt.

«Les entrepreneurs ont des préjugés envers les brevets. Et je les comprends: j'avais les mêmes! Moi non plus, je n'en voulais pas de brevets. Par un concours de circonstances, je suis embarquée là-dedans. Et j'ai fini par faire des affaires avec les brevets. J'ai fait de l'argent avec les licences, et j'en ai fait encore plus quand je les ai vendues», dit Mme Jean.

La vente de ses brevets lui permettant justement de se payer une pause professionnelle, Mireille Jean a décidé d'écrire un livre (Innover c'est bien... breveter c'est mieux!) et de donner des conférences sur le sujet.

«J'ai écrit le livre que j'aurais voulu avoir moi-même 10 ans plus tôt», dit celle qui dit avoir pris son «bâton de pèlerin» pour apporter sa contribution à l'économie du Québec.

Mercredi, ils étaient une vingtaine d'entrepreneurs et agents de brevets à être venus l'entendre. Trop cher, toujours copié, impossible à défendre de toute façon contre les multinationales: le brevet est entouré de mythes qui doivent tomber pour que les entrepreneurs s'y intéressent, martèle Mme Jean.

Dans sa bouche, un brevet devient un actif comme un autre qui sert à faire de l'argent, la conférencière allant même jusqu'à le comparer... à un immeuble!

«Qu'est-ce que vous faites avec un immeuble? Vous l'utilisez pour votre usage exclusif, vous le louez en totalité ou en partie, ou vous le vendez. Vous pouvez faire la même chose avec un brevet», a-t-elle lancé à son auditoire, expliquant que si le brevet peut servir à fabriquer un produit exclusif, on peut aussi en céder les droits sous forme de licence pour tirer des redevances ou même le vendre.

«J'aurais dû entendre ça il y a 20 ans», n'a pu s'empêcher de lancer Guy Guillemet, directeur des services techniques pour une entreprise qui fabrique des systèmes de verrouillage pour les portes et les fenêtres.