Le responsable d'un bureau de change de Montréal, Kong Tech Lim, devait 1,9 million de dollars à Revenu Québec. En déclarant faillite, l'homme a fini par s'entendre pour ne rembourser que... 10 000$!

Cet arrangement singulier a été entériné par la Cour supérieure, le 23 septembre. Le fisc réclamait 1,9 million à M. Lim depuis quatre ans après avoir découvert que l'homme d'affaires était au coeur d'une fraude fiscale dans le secteur du vêtement.

Kong Tech Lim est le responsable du bureau de change KL services financiers, au 4179 de la rue Jarry Est, à Montréal, selon la déclaration d'un policier en cour, en mai 2009. Comme principale activité, ce bureau fait de l'encaissement de chèques, c'est-à-dire qu'il donne à ses clients de l'argent comptant en échange de chèques.

Le bureau de KL est officiellement détenu par la femme de Kong Tech Lim par l'entremise de la société à numéro 9143-8321 Québec inc. Les deux époux résident dans une propriété évaluée à 1 million de dollars dans l'arrondissement de Saint-Laurent.

Fraude fiscale

Les problèmes fiscaux de Kong Tech Lim prennent racine en 2006. Soupçonnant une fraude, Revenu Québec fait des perquisitions, en juin 2006, à plusieurs adresses de Montréal, Laval et Saint-Jean-sur-Richelieu.

Le 20 juillet 2006, coup de théâtre, Kong Tech Lim déclare faillite. L'unique créancier est Revenu Québec, avec 1,9 million, selon un document en cour.

Malgré la faillite, Kong Tech Lim et sa conjointe contractent, un mois plus tard, une marge de crédit hypothécaire de 2 millions de dollars auprès d'une entreprise de financement non traditionnelle. L'emprunt est cautionné par un partenaire d'affaires; le taux d'intérêt n'est pas spécifié sur l'acte notarié.

Au printemps 2007, Kong Tech Lim se rend aux arguments du fisc et plaide coupable. Essentiellement, il reconnaît avoir produit de fausses factures totalisant 5,5 millions de dollars dans le but de réclamer indûment de la TPS et de la TVQ, entre 2002 et 2004.

Le litige entre M. Lim et le fisc ne s'arrête pas là, toutefois. En juillet 2007, Kong Tech Lim demande au tribunal d'être libéré de sa faillite, mais Revenu Québec s'y oppose. Selon l'organisme, la faillite de M. Lim a été occasionnée «par une extravagance injustifiable dans son mode de vie et par négligence coupable à l'égard de ses affaires commerciales», est-il écrit dans un document en cour.

«Les dettes fiscales du failli (1,9 million) constituant 100% du passif de la faillite, ladite faillite a pour unique but de permettre à la partie faillie de se libérer de ses obligations fiscales», ajoute Revenu Québec.

En plus de la somme de 1,9 million, Kong Tech Lim doit 756 000$ au ministère de la Justice, une amende qui lui a été imposée en lien avec la fraude fiscale. Il s'entend avec ce ministère au printemps 2008 pour lui verser 300$ par mois jusqu'au paiement final de l'amende.

Pendant ce temps, les affaires du bureau de change de la rue Jarry Est continuent de rouler. En octobre 2008, l'entreprise qui détient le bureau, 9143-8531 Québec inc., consent un prêt de 250 000$ à l'homme d'affaires Andrea Cortellazzi. Ce prêt, qui porte intérêt au taux annuel de 50%, est signé par Kong Tech Lim, selon l'acte hypothécaire.

Entre septembre 2008 et avril 2009, le bureau de change décaisse également 686 050$ en faveur de l'entreprise ICH&Associates en échange de 14 chèques. Ces transactions ne passent pas inaperçues. La GRC et les autorités américaines ont fait enquête sur ces chèques après que des personnes âgées américaines se sont plaintes de s'être fait arnaquer au téléphone par ICH, selon des documents produits en cour.

Le bureau de change de la rue Jarry Est a reçu la visite des policiers dans cette affaire, au printemps 2009. M. Lim et une gestionnaire du bureau ont collaboré. Aucune accusation n'a été portée contre eux ni contre les trois individus qui auraient perpétré l'arnaque. «L'enquête suit son cours», nous indique la porte-parole de la GRC, Kathy Brousseau.

Au début de 2010, Kong Tech Lim demande de nouveau d'être libéré de sa faillite. Cette fois, le fisc baisse les bras et, le 23 septembre, Revenu Québec accepte de plafonner la dette à 10 000$, à raison de 150$ par mois. Sur preuve de l'acquittement complet de ces 10 000$, Kong Tech Lim sera donc libéré de sa faillite et les contribuables pourront oublier le reste de la somme de 1,9 million qui leur était due.

Revenu Québec justifie de diverses façons cette décision, nous dit sa porte-parole, Valérie Savard. «Le failli a proposé un règlement à 10 000$, ce qui a été accepté étant donné la capacité de paiement de M. Lim et compte tenu des autres cas similaires.»

Même s'il est libéré de sa faillite, ajoute Mme Savard, Kong Tech Lim est tenu de rembourser les 756 000$ d'amendes au ministère de la Justice.

Revenu Québec ne tient pas compte de la maison du couple Lim ni de l'entreprise qui détient le bureau de change, puisque ces actifs sont inscrits au nom de la conjointe de M. Lim.

Joint au téléphone, Kong Tech Lim nous a dit qu'il ne pouvait pas nous parler, avant de raccrocher. Son avocat, Melvin Ravinsky, n'a pas rappelé.