À mi-chemin dans les négociations de deux ans entamées par le Canada et l'Europe pour conclure un traité de libre-échange, l'objectif des Européens est désormais limpide: un accès sans entraves aux marchés publics au Canada - un pactole de 26 milliards de dollars par année.

Nommé par Jean Charest pour représenter le Québec dans la délégation canadienne pour ces discussions, l'ex-premier ministre Pierre Marc Johnson ne cache pas l'importance pour le Québec comme pour le Canada que ces discussions réussissent.

Un traité de libre-échange avec l'Europe ferait augmenter de 0,77% par année le produit intérieur brut. «Quand on connaît des années maigres où c'était 2%, c'est quelque chose, 3/4 de 1% ajoutés à 2%. La croissance économique qui va découler d'une plus grande circulation des biens du capital ou des personnes entre l'Europe et le Canada et le Québec devrait être positive», a soutenu mercredi M. Johnson, invité à faire le point sur les négociations par la commission des institutions à l'Assemblée nationale. «Le jour où il y aura un accord, il y aura de quoi célébrer», promet M. Johnson qui, comme chef de l'opposition péquiste en 1987, avait exprimé d'importantes réserves à l'endroit du projet de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

L'expansion des échanges avec l'Europe tomberait à point nommé. Les ventes du Québec aux États-Unis représentent maintenant seulement 69% de nos exportations, elles représentaient 81% en 2004.

«Négocier avec l'Europe, pour le Canada, c'est un énorme morceau. On est 32 millions. Ils sont 500 de l'autre côté. Il y a 27 juridictions (nationales); ici, il y en a 12 (provinciales), elles ont moins d'influence dans bien des cas. Et, malgré tout, cette négociation progresse, avance», a souligné M. Johnson.

La décision de Québec d'écarter l'espagnole CAF des négociations pour le contrat du métro de Montréal vient contrarier les Européens. Car l'objectif principal de la Communauté européenne, «c'est beaucoup plus les marchés publics que le marché de la consommation». Leur marché national compte déjà 500 millions de consommateurs, alors il n'ont pas besoin de vendre davantage leurs produits aux Canadiens.

C'est d'ailleurs à cause des marchés publics que les provinces sont parties de la délégation canadienne. «Les marchés publics au Québec, c'est 12 milliards par année», si on inclut les achats municipaux et paragouvernementaux. Au Canada on parle de 26 milliards. Aussi, «l'essentiel de l'appétit des Européens va se manifester autour des marchés publics». Le Canada devra accuser le coup, mais, en contrepartie, l'Europe devra jeter du lest sur nos préoccupations, les barrières tarifaires. Les manufacturiers québécois paient près de 150 millions par année en tarifs pour que leurs produits franchissent les frontières européennes.

Aussi, il y aura «des échanges de concessions. Il n'y a pas de changement sans concession, il n'y a pas d'augmentation pour nous d'accès au marché européen sans concessions de notre part sur un certain nombre d'appétits européens». «Nous sommes parfaitement conscients qu'il faudra, dans notre offre, répondre tout au moins en partie aux préoccupations européennes sur les marchés publics», prévient M. Johnson.

Il y aura des exceptions, prédit-il. Hydro-Québec, par exemple, jouit d'un quasi-monopole comme fournisseur d'électricité au Québec. «Cette situation-là n'a pas à changer, à moins que le gouvernement décide de changer le statut d'Hydro-Québec. C'est une autre paire de manches. Il ne faut pas confondre l'accès non plus au marché public de ces monopoles. Je vous dirais que le monopole d'Hydro-Québec n'est pas mis en cause.»

Culture et agriculture

Le Québec souhaite que la culture ne soit pas couverte par une éventuelle entente, et défend cette position auprès d'Ottawa. Cela pourrait être prévu par «un protocole à côté», mais cette idée a soulevé des inquiétudes dans le secteur culturel. «Il n'est pas question de soumettre le monde de l'édition, le monde de l'audiovisuel, qui sont des... des lieux d'expression extrêmement importants pour la culture, à l'accord commercial lui-même», tranche Pierre Marc Johnson.

Pour Québec, «il faut d'abord protéger la propriété canadienne (notamment) dans le secteur de la radio-télévision».

Pour l'heure le Canada défend une position «traditionnelle» de protection du secteur de la radio-télévision. «Dans la mesure où on peut définir la radio-télévision comme faisant partie de l'exemption culturelle, ça serait donc sorti» d'un traité éventuel, selon lui.

Sur la question agricole, Québec «défend le système de gestion de l'offre, et le monde agricole québécois n'a pas à s'inquiéter de la force avec laquelle nous exprimons cette préoccupation auprès du gouvernement fédéral». Mais c'est Ottawa qui a à négocier ces questions.

La question agricole est toujours «un peu tabou», on a convenu rapidement qu'elle ne serait abordée qu'en toute fin. «Pensez-vous vraiment que l'Europe va abolir ses 56 milliards de subventions en classe agricole? Et pensez-vous vraiment qu'ils s'attendent à ce qu'on renonce à maintenir les régimes de protection de la classe agricole?» Pour M. Johnson la réponse «parait s'imposer».