Dans un geste exceptionnel, le Barreau du Québec demande qu'une plainte soit portée immédiatement contre l'avocat fraudeur Jacques Matte.

Habituellement, une plainte est déposée contre un avocat au terme d'une enquête du syndic du Barreau, dont les procédures sont menées indépendamment de la volonté des dirigeants du Barreau.

Cette fois, compte tenu d'un jugement associant Jacques Matte à une fraude, le Barreau a décidé d'invoquer l'article 128 du Code des professions. En vertu de cet article, «le syndic doit, à la demande du conseil d'administration de l'ordre, porter toute plainte qui paraît justifiée».

Hier, le «comité exécutif» du Barreau a donc adopté une résolution demandant au syndic de porter «sans délai une plainte contre Jacques Matte devant le comité de discipline». Cette plainte pourrait éventuellement mener à des sanctions, voire une radiation.

La semaine dernière, rappelons-le, un jugement de la Cour d'appel confirmait que l'avocat fiscaliste Jacques Matte avait aidé son client Denis Charron à perpétrer une fraude de 11 millions de dollars. Le jugement avalisait ainsi l'essentiel de la décision de la Cour supérieure, rendue en décembre 2007.

La décision du Barreau est loin d'être précipitée. Déjà, dans les années 90, Jacques Matte avait aidé à la production de faux documents dans le dossier du Marché central, selon l'un des instigateurs de la fraude. L'affaire avait fait grands bruits, mais aucune plainte n'avait alors été déposée par le syndic.

La fraude de l'affaire Charron a eu lieu en 2001. Les multiples procédures et la complexité du dossier ont repoussé le jugement de la Cour supérieure jusqu'à décembre 2007.

La Presse s'était alors interrogée sur l'inaction du Barreau. On nous avait répondu qu'une fraude dans une cause civile, même reconnue par un juge après plusieurs jours d'audiences et l'analyse de plusieurs milliers de pages de documents, n'était pas suffisante pour radier un avocat. Un verdict de fraude au criminel, par contre, aurait mené à une radiation immédiate.

Avec la fraude au civil, une enquête du syndic a été enclenchée, au début de 2008. Presque trois ans plus tard, l'enquête n'a toujours pas aboutie, mais avec le jugement de la Cour d'appel, le Barreau demande maintenant d'intenter des procédures disciplinaires sans délai.

Il faudra plusieurs mois, compte tenu des procédures, avant que d'éventuelles sanctions puissent être imposées à Jacques Matte. Pendant ce temps, l'avocat pourra continuer à pratiquer sans problème.

Rappelons que Jacques Matte a par ailleurs fait l'objet de perquisitions de la Sûreté du Québec, en 2009, en lien avec une enquête pour fraude et blanchiment d'argent de son client Ronald Chicoine. Les documents saisis sont encore scellés, Matte invoquant le privilège du secret professionnel.