En planifiant la construction d'une nouvelle usine, la direction de Cascades (T.CAS) a fait un constat qui a créé une onde de choc dans le clan Lemaire: les employés québécois coûtent beaucoup plus cher que leurs confrères américains.

«On a fait une petite vérification à l'interne et un employé québécois peut nous coûter de 35% à 75% plus cher qu'un employé américain», a affirmé le grand patron de Cascades, Alain Lemaire, au cours d'une récente entrevue à La Presse Affaires.

Cette analyse des coûts a été réalisée alors que le papetier-recycleur de Kingsey Falls est en train d'analyser la pertinence d'un «gros projet», la construction d'une nouvelle usine dont les seuls coûts de construction atteindront les 60 millions de dollars. Si le projet va de l'avant, l'usine sera vraisemblablement construite aux États-Unis.

Cette différence de traitement des employés inclut tant les salaires que les bénéfices qui leur sont versés. Dans certains cas, ce sont les salaires qui sont plus élevés, dans d'autres, ce sont les bénéfices. En moyenne, précise-t-on chez Cascades, l'écart de traitement est de 50% entre les usines québécoises et américaines. La comparaison a été effectuée entre les usines qui fabriquent le même produit.

«Ça nous a un peu donné un choc», admet Alain Lemaire.

«On a été protégés pendant une décennie ou deux en raison du dollar faible, poursuit M. Lemaire. Donc, on ne se préoccupait pas des salaires ou des bénéfices parce qu'on pouvait être facilement concurrentiels. Aujourd'hui, on a un dollar au pair, il faut donc se comparer.»

Dans l'ensemble des activités de Cascades, 54% des employés sont syndiqués. Aux États-Unis, c'est à peine 37%.

Avec un chiffre d'affaires de 4 milliards de dollars, Cascades verse environ 1 milliard par année en coût de main-d'oeuvre, précise son président et chef de la direction. Une composante non négligeable dans une analyse de rentabilité.

Fait important à noter : si les travailleurs d'usine coûtent moins cher aux États-Unis, il en va autrement pour les cadres qui, eux, sont mieux payés qu'au Québec, souligne-t-il.

Plus que des salaires

Mais il y a plus que les salaires qui poussent Cascades à lorgner le sud de la frontière. Et cette analyse pourrait aussi s'appliquer à d'autres acteurs du secteur manufacturier québécois. Ce secteur a éliminé près de 150 000 emplois québécois depuis son sommet de 2002.

Ainsi, avec des coûts de transport en hausse, Cascades cherche à se rapprocher de ses clients américains.

La proximité des fibres à recycler importe également. Si la société papetière peut réduire le kilométrage des camions qui la transporte, c'est une autre source d'économie.

Même un avantage longtemps associé au Québec commence à perdre de son lustre : les faibles coûts de l'électricité. «Aux États-Unis, tu peux avoir des taux aussi bons qu'au Québec. Et pour faire du papier, ça prend beaucoup d'énergie.»

Tous ces facteurs font en sorte que la croissance de Cascades risque de se faire davantage aux États-Unis qu'au Québec au cours des prochaines années. «Si on pensait que le dollar canadien revenait à 60 cents US, on construirait ici, souligne encore M. Lemaire. Mais dans notre étude, oui, on est obligé de considérer plus le côté américain que le côté québécois.»

Dans le contexte économique actuel aux États-Unis, les États américains se font particulièrement généreux avec les entreprises qui désirent s'y installer. Aussi, souligne-t-il, les études d'impact environnemental se font plus rapidement. «Aux États-Unis, quand ils veulent une industrie, les portes ouvrent grand.»