Si les prévisions des économistes sont bonnes, Statistique Canada annoncera demain que l'économie canadienne a créé 26 000 emplois en mars, portant le total des emplois récupérés depuis le creux de la dernière récession, en juillet, à quelque 185 000. Le Québec remonte la pente particulièrement vite.

Chez Beenox, à Québec, on embauche à pleine porte. Depuis juillet, le nombre d'employés de ce concepteur de jeux vidéo a progressé de plus de 10%, à 345 personnes. Dans les prochaines semaines, une centaine d'autres feront leur entrée dans les studios du boulevard Charest.

Ce qui explique la poussée de croissance de cette toute jeune entreprise? Un projet-pilote pour tester des jeux mis sur pied en 2007 et qui a bien tourné. «On teste les jeux faits en Californie», explique la responsable des communications, Virginie Faucher.

Beenox, entreprise québécoise achetée par la californienne Activision il y a cinq ans, fait donc partie de ce lot d'entreprises pour qui le temps n'est pas à la récession, mais à l'embauche. Son secteur - information, culture et loisirs - se classe parmi les cinq gagnants de la reprise de l'emploi au Québec, selon des données fournies à La Presse Affaires par les économistes de Desjardins.

Les autres secteurs qui ont procédé à un nombre notable d'embauches sont, dans l'ordre: la santé, l'hébergement et la restauration, les services professionnels, scientifiques et techniques de même que le commerce.

Même si le secteur de la santé est celui qui a créé le plus d'emplois depuis le creux de juillet, tant au Québec qu'au Canada, la majorité des travailleurs qui sont retournés au boulot au cours des derniers mois ont trouvé leur job dans le secteur privé. Mais attention, lance Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins, les données statistiques sur une base mensuelle sont plus volatiles. «Si on avait pris les données un mois plus tard, en août, le secteur public serait le grand gagnant (au Canada).»

Aussi, on s'en rend compte en parlant avec certains de ceux qui ont embauché dans les derniers mois, l'argent public n'est pas très loin des emplois privés.

Prenez Teknika HBA, la deuxième plus vieille firme de génie-conseil du Québec, qui emploie 1060 personnes dans la province. Actuellement, Teknika cherche à combler 65 postes, de techniciens, d'ingénieurs ou de chimistes.

«On a été très, très privilégiés, souligne la directrice des ressources humaines, Alexandra Lebel. On n'a pas du tout été touchés par la récession et ça, en majeure partie grâce aux travaux d'infrastructure, tout l'argent qui a été investi par le gouvernement du Québec.»

Les ingénieurs font partie des services professionnels, scientifiques et techniques et ont vu leur nombre augmenter de 12 500 au Québec depuis juillet et de 19 200 dans l'ensemble du Canada.

Même dans une entreprise comme Beenox, on souligne qu'un des avantages de la filiale québécoise est le plus faible coût de sa main-d'oeuvre, moins chère que sur la côte ouest américaine. «En plus, il y a un crédit d'impôt qui fait qu'on est compétitif», souligne Mme Faucher. Ce crédit dans le secteur du multimédia représente 37,5% des salaires des employés.

L'économiste du Mouvement Desjardins note quelques différences importantes entre la reprise de l'emploi au Canada et celle du Québec. En plus d'être plus vigoureuse jusqu'à présent, celle du Québec repose sur un plus grand nombre de secteurs, note Mme Noreau.

Elle souligne aussi une faiblesse particulière à l'économie québécoise: le secteur manufacturier. Si le Canada a réussi à retrouver des emplois dans ce secteur dans les sept derniers mois grâce à une reprise du secteur automobile ontarien, le Québec, lui, en a encore perdu. «C'est nous qui avons le gros du bois et des pâtes et papiers», souligne-t-elle, un secteur où les fermetures d'usine se poursuivent.

Sortie de crise

Ces données sur la création d'emplois nous apprennent aussi que le Québec a déjà récupéré 72% des emplois perdus pendant la dernière crise, selon les calculs de Desjardins. Dans l'ensemble du Canada, c'est à peine 38% et 31% quand on exclut le Québec des données canadiennes.

La question qu'on peut se poser est la suivante: que se passera-t-il quand les milliards publics se tariront et que le contrôle des déficits et de la dette reprendra de l'importance? Le privé prendra-t-il la relève?

Un début de réponse se trouve dans les documents budgétaires déposés la semaine dernière. Québec prévoit que les investissements privés non résidentiels seront en hausse d'un maigre 1,5% en 2010, après avoir chuté de 15% en 2009. Les investissements publics non résidentiels, comme les routes et les barrages, ont progressé de 50% entre 2006 et 2009 et croîtront encore de 8,8% en 2010 pour atteindre 21,9 milliards, soit presque 2 milliards de plus que le privé.

Météo

Outre l'agent public, d'autres facteurs moins fondamentaux ont aussi joué sur l'embauche au Québec ces derniers mois. Un exemple: la météo.

Si celle-ci a été mauvaise pour les conducteurs de chasse-neige, les restaurateurs, eux, en ont profité. Au restaurant Le Newtown, rue Crescent à Montréal, le directeur général David Tanguay est actuellement en processus d'embauche.

«Les températures étaient clémentes, dit-il. En janvier, février et mars, les gens sont sortis.»

Il a donc dû embaucher des employés d'été plus tôt que les autres années. Ils seront donc un mois et demi plus longtemps sur le marché du travail, à servir vin et bisque de homard sur la terrasse.