Déstructuration, point de rupture, fermes en péril. Les agriculteurs québécois utilisent des termes forts pour exprimer leur inquiétude par rapport à certaines mesures de resserrement prévues à une assurance cruciale. Le conseil d'administration de la Financière agricole prendra des décisions critiques à ce propos demain.

«Dans les bureaux de Saint-Romuald, mercredi, va se jouer l'avenir d'un homme de l'Abitibi. Il va se jouer une partie de l'agriculture de l'Abitibi-Témiscamingue.»

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Sylvain Vachon est un producteur de veaux d'embouche (jeunes veaux) de Palmarolle, dans l'ouest de l'Abitibi. Il craint les conséquences des changements prévus à l'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), un programme clé pour les producteurs québécois.

Adoptés dans leur intégralité, les changements coûteront pas moins de 80 000$ à Sylvain Vachon, selon ses calculs. «Faut que je trouve ça dans mon budget cette année. C'est invivable.»

Depuis plusieurs années, les fonds de l'ASRA enregistrent déficit sur déficit (voir autre texte). En novembre, le ministre de l'Agriculture Claude Béchard a annoncé qu'il allait doubler le financement de l'ASRA pour qu'il atteigne 630 millions.

En même temps, il mettait de l'avant une série de mesures pour contrôler les coûts. Les agriculteurs ont bien accepté la majorité des changements. Mais la mesure d'efficacité des fermes qui suscite l'inquiétude.

Une mesure qui fait mal

Pour calculer les coûts de production, base du calcul des compensations, la Financière utilisait auparavant une moyenne obtenue à partir d'un échantillon de fermes. La nouvelle mesure prévoit qu'on retire de l'échantillon les 25% des fermes les moins efficaces. Le coût de production moyen diminuera donc, et les compensations de même. L'idée est de soutenir les producteurs efficaces, objectif originel de l'ASRA.

«C'est la mesure qui fait le plus mal», explique Sylvain Vachon.

Le producteur vend ses veaux environ 750$ actuellement, «un prix dérisoire». Il lui faudrait un prix de marché deux fois plus élevé pour arriver. C'est l'ASRA, entre autres, qui lui permet de ne pas perdre d'argent.

Depuis 10 ans, le prix des intrants (engrais et carburant) a triplé. Sa prime d'ASRA est passée de 90 à 300$ par tête.

«Avec les coupes anticipées, je ne suis plus en affaires, dit-il en soulignant que quatre fermiers voisins ont fait faillite dans les dernières années. Le dégraissage a déjà été fait dans les dernières années. J'ai déjà réduit mes dépenses, j'ai déjà innové.»

Plus largement, il craint la déstructuration de l'agriculture abitibienne, déjà au point de rupture avec à peine plus de 700 fermes.

La filière porcine est nerveuse aussi. «Si les mesures de resserrement sont tellement sévères qu'on passe de 7,7 à 6 ou 5 millions de porcs produits, les abattoirs nous ont clairement dit qu'on ne nous donnerait plus le même prix», déplore Yvan Fréchette, un producteur de porcs de Saint-Zéphirin-de-Courval.

«Le gouvernement va trop loin», affirme Christian Lacasse, président de l'Union des producteurs agricoles.

Selon les calculs de l'UPA, la Financière dégagera un surplus de 400 à 500 millions au cours des cinq prochaines années si elle applique toutes les mesures de resserrement de l'ASRA. La Financière estime que l'ensemble des mesures représente des économies annuelles de 111 millions. L'UPA arrive plutôt à un compte d'environ 200 millions.

Pour l'UPA, il est donc inutile d'aller de l'avant avec la mesure d'efficacité des fermes. «Et même si on se trompait dans notre évaluation, la Financière agricole a pris une mesure antidéficit en plafonnant les compensations à 759 millions, ajoute M. Lacasse. Il n'y a donc aucun risque.»

Viabilité compromise

Cette semaine, les agriculteurs ont fait parvenir aux députés libéraux une lettre demandant de retirer la mesure d'efficacité des fermes, de même qu'une autre disposition sur un nouveau calcul de la rémunération de l'exploitant. Ce nouveau calcul résulterait selon l'UPA en une baisse des compensations pour la majorité de producteurs.

«L'application intégrale de toutes les mesures de resserrement proposées ferait basculer dans le rouge la majorité des entreprises agricoles visées, y compris les plus efficaces, compromettant ainsi leur viabilité», peut-on lire dans la lettre.

Pascal D'Astous, l'attaché de presse du ministre Claude Béchard, laisse toutefois bien peu d'espoir aux agriculteurs. «Cette mesure [sur l'efficacité des fermes] fait partie des directives générales du ministre, a-t-il indiqué à La Presse Affaires hier. Pour arriver à une enveloppe de 630 millions, il faut que cette mesure soit présente. Ils [le conseil de la Financière] ne pourront pas y arriver autrement.»

Le conseil d'administration de la Financière, qui discutera de ces questions dans une importante réunion demain, compte cinq membres de l'UPA et 10 membres nommés par le gouvernement.

Le PDG de la Financière agricole, Jacques Brind'Amour, a refusé notre demande d'entrevue, préférant attendre après la réunion de demain.