Le dossier Norshield recèle encore des surprises même cinq ans après l'éclatement du scandale. Cette semaine, on apprend que la firme comptable qui signait les documents essentiels des Bahamas ne travaillait pas dans ce paradis fiscal, mais à Saint-Léonard!

Le syndic RSM Richter vient de déposer une poursuite de 5 millions de dollars contre le bureau de comptables agréés Brooks Di Santo. La firme est établie au 6455, de la rue Jean-Talon Est, dans l'arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal.

Le syndic reproche à la firme et aux partenaires Peter Marini et Fred Ragonese d'avoir été négligents dans la vérification d'états financiers cruciaux à cette affaire et d'avoir permis la production de documents trompeurs.

Multiples erreurs comptables

La poursuite relève une suite d'incroyables erreurs comptables subtilement insérées dans les états financiers de Channel Funds, l'entreprise des Bahamas au coeur du réseau Norshield. Transactions injustifiées, conflit d'intérêts non dévoilés, surévaluation grossière d'actifs, documents non vérifiés... La firme Brooks Di Santo, qui agissait comme vérificateur, a enfreint 27 des normes comptables généralement reconnues, selon la requête.

Channel Funds était le point de départ de la structure fort complexe du réseau Norshield. La structure tenait la route parce que l'ultime poupée russe du réseau, soit Channel Funds, avait des états financiers maquillés, protégés par le secret bancaire des Bahamas.

Le syndic a pu obtenir et décortiquer les états financiers de Channel Funds après cinq ans de travail et de recours juridiques aux Bahamas, à la Barbade, aux États-Unis et au Canada.

Selon le syndic, la position financière de Channel telle que présentée dans les livres comptables était «grossièrement surévaluée». Non seulement les revenus, mais la valeur des investissements était gonflée, selon la requête. L'écart entre la valeur des investissements et la réalité excède même les 300 millions de dollars en 2003, soutient RSM Richter.

Toujours selon la requête, les activités de Norshield auraient été bloquées dès février 2003, plutôt qu'en 2005, n'eût été la négligence des vérificateurs comptables. Ce blocage aurait probablement évité les pertes subies par les investisseurs entre 2003 et 2005.

Globalement, ces investisseurs ont perdu près de 500 millions de dollars. Aujourd'hui, toute somme qui est récupérée par le syndic, faut-il le rappeler, sera versée aux victimes de cette affaire, soit des particuliers et des investisseurs institutionnels.

Liens avec Mount Real

Brooks Di Santo et ses comptables ont attesté que les états financiers de Channel avaient été préparés selon les principes comptables internationaux. Or, RSM Richter soutient qu'il n'en est rien et énumère une série d'exemples où les normes comptables internationales ont été bafouées.

Parmi les présumés investissements de Channel, on retrouve des entreprises qui ont été au coeur de scandales ces dernières années, notamment Mount Real et iForum, de même que Globe-X (Cinar). Ces entreprises ont fait perdre des centaines d'autres millions de dollars aux investisseurs du Québec.

Normalement, Brooks Di Santo aurait dû demander à une firme indépendante d'attribuer une valeur à ces actifs. Or, Brooks Di Santo a plutôt fait affaire avec Mount Real Corporation, dirigée par Lino Matteo.

Mount Real a été lancée par la firme Norshield dans les années 90. Le PDG Lino Matteo est un proche de John Xanthoudakis, l'âme dirigeante de Norshield. Les dirigeants de Mount Real sont d'ailleurs poursuivis par l'Autorité des marchés financiers dans une autre affaire et sont passibles de prison.

Les comptables Fred Ragonese et Peter Marini sont inscrits à l'Ordre des comptables agréés du Québec depuis 1978 et 1981, respectivement. Fred Ragonese n'a aucun dossier disciplinaire. Peter Marini a toutefois été reconnu coupable, en mars 2009, d'avoir agi comme vérificateurs comptables indépendants de la fondation Macdonald Stewart, alors qu'il y gérait la paye des employés.

Joint par La Presse, le représentant de Books Di Santo, Peter Marini, n'a pas voulu faire de commentaire sur les allégations de la poursuite. «Nous avons agi de façon responsable et nous allons nous défendre», a-t-il dit.