Le Trésor québécois est vide et l'économie ne croît plus assez vite pour le remplir. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, vient de lancer une grande consultation pour l'aider à trouver le traitement approprié pour améliorer l'état des finances publiques.

Le diagnostic posé par les quatre spécialistes qu'il a appelés à son chevet ne laisse guère de place à l'optimisme. À défaut d'appliquer des remèdes au goût amer, il sera impossible de maintenir le niveau de services publics auquel les Québécois sont habitués, préviennent les économistes Robert Gagné, Pierre Fortin, Luc Godbout et Claude Montmarquette. Il faut maintenant trouver le meilleur traitement, c'est-à-dire celui qui permettra de rééquilibrer les finances publiques sans nuire à la reprise économique. Voici quelques suggestions de remèdes à administrer au patient, suggérés par trois économistes, Jean-Pierre Aubry (CIRANO), Maurice Marchon (HEC Montréal) et Simon Prévost (MEQ).

Des remèdes au goût amerLa solution aux problèmes économiques du Québec peut être résumée simplement: il suffit de réduire les dépenses et d'augmenter les revenus. Le ministre des Finances a d'ailleurs déjà annoncé des mesures destinées à revenir à l'équilibre budgétaire: hausse de la TVQ de 7,5 à 8,5%, indexation de tous les tarifs à l'exception de ceux des garderies et lutte contre l'évasion fiscale. Même s'il réussit à faire tout ça avec le succès escompté, il manquera encore presque 3,9 milliards pour revenir au déficit zéro. D'où viendront ces milliards supplémentaires?

Augmenter les impôts

C'est la voie de la facilité pour le gouvernement et il l'a déjà beaucoup empruntée. Résultat, les Québécois sont les contribuables les plus taxés et les plus imposés au Canada et dans les pays du G7.

 

Faire payer les riches, comme le souhaite la CSN et beaucoup de contribuables, n'est pas non plus une solution. Les riches, disons ceux dont les revenus sont supérieurs à 100 000$, ne comptent que pour 3% des contribuables québécois.

«Le nombre de riches n'est pas assez élevé et s'ils décident de s'en aller, on n'est pas plus avancés», prévient Jean-Pierre Aubry, économiste et responsable des politiques publiques de l'Association des économistes québécois.

Augmenter les impôts de tout le monde doit aussi être acceptable pour la majorité, ce qui n'est pas acquis, comme le démontre le niveau élevé d'évasion fiscale au Québec.

«L'élastique de l'imposition est complètement étiré», résume Simon Prévost, économiste et président des Manufacturiers et exportateurs du Québec.

Augmenter les tarifs

La TVQ augmentera de 1% le 1er janvier 2011, a déjà annoncé le gouvernement. Il pourrait l'augmenter de 2%, estime Jean-Pierre Aubry, économiste et membre du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Selon lui, le Québec devrait se dépêcher d'augmenter sa taxe de vente de 2% avant que le gouvernement fédéral soit obligé d'augmenter la TPS pour réduire son déficit.

C'est une possibilité «à examiner très sérieusement», estime lui aussi Simon Prévost.

Le gouvernement jongle aussi avec l'idée d'augmenter les tarifs d'électricité, qui sont gelés par décret pour la presque totalité de la consommation québécoise. Jean-Pierre Aubry croit que c'est une solution possible. Le gouvernement pourrait aller chercher 2 milliards supplémentaires en augmentant les tarifs pour les rendre comparables à ceux en vigueur en Ontario.

Pour sa part, Maurice Marchon, professeur à HEC Montréal, estime que le prix de l'électricité est peut-être bas pour les consommateurs résidentiels, mais c'est la grande industrie qui profite surtout des tarifs subventionnés. Il y aurait là des revenus supplémentaires substantiels à aller chercher. «Malheureusement, dit-il, on a signé des contrats de 30 ans dont il n'est pas facile de se défaire.»

Par contre, beaucoup d'autres tarifs devraient être augmentés, conviennent les économistes. «Il faut que la tarification soit alignée sur le coût des services fournis par le secteur public», dit Maurice Marchon, qui estime qu'on ne doit pas faire exception pour les garderies et les droits de scolarité, fortement subventionnés. «Actuellement, on éduque des Français qui vont générer de la richesse pour la France», déplore-t-il.

Aussi populaires soient-ils, les garderies à 7$ et le Régime d'assurance parentale doivent être revus parce qu'ils coûtent trop cher pour nos moyens, croit Simon Prévost. Même si le gouvernement a promis de ne pas toucher aux garderies à 7$, la situation exige qu'il revienne sur sa promesse, selon lui.

Privatiser des sociétés d'État

C'est une mauvaise idée, soutiennent les observateurs interrogés. «Le problème, c'est que c'est un one shot deal, explique Jean-Pierre Aubry. À court terme, ça améliore le bilan mais à long terme, c'est une source de revenus de moins».

Maurice Marchon est du même avis. «Le démantèlement de la SAQ ou d'Hydro-Québec ne se fera pas au prix du marché et profitera à une minorité d'investisseurs avertis», dit-il.

Les sociétés d'État à vocation commerciale sont par ailleurs de mieux en mieux gérées. «Avant, aller à la SAQ c'était comme aller chercher de l'alcool dans une prison», commente-t-il. Aujourd'hui, la SAQ comme Hydro-Québec et Loto-Québec, sont des organisations assez bien gérées, selon lui.

Jean-Pierre Aubry est d'accord. «Si ça fait de l'argent, tu le gardes», dit-il.

Réduire les dépenses

Aucun rétablissement durable des finances publiques n'est possible sans une réduction des dépenses du gouvernement. C'est assez simple à comprendre, étant donné que les dépenses publiques augmentent au rythme moyen de près de 4% par année alors que l'économie croît au rythme plus modeste de 2% par année.

Contrairement aux hausses de taxes et d'impôts, la réduction des dépenses du gouvernement est assez populaire dans l'opinion publique, souligne Simon Prévost, jusqu'à ce que le temps d'attente augmente dans les hôpitaux.

Il va toutefois falloir réduire les coûts du système de santé, qui grugent 45% des revenus de l'État.

«L'introduction d'un ticket modérateur est une nécessité parce qu'il n'exclut pas l'accès aux services», croit Maurice Marchon. Le service de santé à deux vitesses existe déjà, souligne-t-il, et les baby-boomers sont plus riches et capables de payer pour une partie des services dont ils auront besoin.

«Devant les besoins qui augmentent, il va falloir sacrifier des vaches sacrées», estime lui aussi Jean-Pierre Aubry, en faisant allusion au ticket modérateur, mais aussi à l'augmentation des droits de scolarité.

Il faut en arriver là, renchérit Simon Prévost. «Parce que si tu ne touches à rien pour préserver un principe, arrive un jour où ce sont les marchés financiers qui vont nous dire quoi faire.»

Gare aux effets secondaires

L'augmentation des tarifs, la réduction des dépenses ou toutes les mesures qui seront adoptées pour rééquilibrer les finances publiques risquent d'avoir un effet secondaire dangereux: mettre en danger la reprise économique qui vient de s'amorcer.«Attention, il ne faut pas tuer la reprise économique», prévient Maurice Marchon.

Ainsi, la hausse de la TVQ risque de freiner les dépenses de consommation, qui sont le moteur des économies modernes.

Toute ponction fiscale supplémentaire, sous forme de tarifs d'électricité, de ticket modérateur ou de frais de garde aura aussi pour effet de laisser moins d'argent dans les poches des contribuables.

Pour éviter de mettre des bâtons dans les roues de la reprise, il vaudrait mieux prendre plus de temps pour revenir au déficit zéro, croit le professeur de HEC Montréal. «Il ne faut pas capoter avec le déficit, dit-il, on peut prendre plus que trois ans pour revenir à zéro».

Mettre plus de trois ans à revenir à l'équilibre ne serait pas dramatique, opine Simon Prévost. Mais le président des Manufacturiers et exportateurs du Québec pense que le temps presse pour donner un coup de barre. «Plus on attend et plus le problème s'aggrave, parce que la dette augmente et que son coût augmente.»

Avec l'augmentation prévue des taux d'intérêt, le service de la dette augmentera de 50% d'ici 2014.

Et dans deux ans, en 2013, le nombre de personnes de 15 à 64 ans, c'est-à-dire la population active, commencera à diminuer, prévoit l'Institut de la statistique du Québec. Si on ne fait rien, le poids des impôts, des déficits et de la dette reposera sur un nombre de plus en plus restreint de contribuables.

À plus long terme, c'est l'exode des plus jeunes qu'il faut craindre, parce qu'ils refuseront de payer pour les dépenses trop élevées des générations précédentes.

«La menace existe, estime Simon Prévost, parce que les jeunes Québécois sont bilingues ou trilingues et de ce fait, plus mobiles que leurs aînés.»