Le textile, jadis un poids lourd de l'industrie manufacturière québécoise, a été durement ébranlé quand l'Asie a pris les marchés d'assaut au début des années 2000. Mais l'industrie québécoise n'avait pas dit son dernier mot. Avec l'aide des gouvernements, elle s'est restructurée et ressort maintenant la tête de l'eau. Plus petite, mais plus agile... et plus innovante.

La scène a quelque chose de surréaliste. Au micro, Nicole Buckley, directrice des sciences physique et de la vie à l'Agence spatiale canadienne, parle de missions vers Mars, de microgravité et de radiations cosmiques.

Dans la salle, des dizaines d'entrepreneurs sont suspendus à ses lèvres. Des entrepreneurs du secteur... textile.

Erreur de casting ? Pas du tout.

« On a besoin de vous », lance Mme Buckley. Matériaux résistants aux radiations pour les habits d'astronautes, surfaces antimicrobiennes « parce que l'eau est rare dans l'espace », textiles intelligents qui s'adaptent à la température : Mme Buckley passe ses commandes.

« Et que diriez-vous de nous faire des tissus qui se réparent tout seuls ? On est aussi ouverts à vos idées », lance Mme Buckley.

La scène s'est déroulée la semaine dernière à Montréal dans le cadre d'Expo Hightex 2009, le rendez-vous annuel du textile canadien.

Quiconque y débarquait sans trop avoir suivi l'évolution du secteur était mûr pour une bonne surprise. Oubliez les t-shirts en coton : à Expo Hightex 2009, les conférences portent sur les « matériaux nano-poreux pour le transfert de médicaments », les « préformés textiles 3D pour composites aérospatiaux » ou les « fibres cellulosiques naturellement ignifuges ».

Que se passe-t-il avec le textile québécois ?

En gros, une petite révolution qui montre que le secteur manufacturier peut encore survivre au Québec... à condition de s'adapter.

Lisa Fecteau est présidente de Régitex, une entreprise beauceronne qui fait du fil haute-performance. Le changement de cap qu'a fait le secteur du textile au Québec, elle le résume bien simplement.

« Les gens appellent encore ça « la guenille ». Ben la guenille, elle est partie en Chine. Et elle ne reviendra pas. »

C'est la première chose que les gens de l'industrie vous disent quand vous essayez de comprendre leur nouvel univers : « textile » ne rime plus nécessairement avec « vêtements ».

Aujourd'hui, les produits fabriqués au Québec servent autant à renforcer les poutres de béton et à stabiliser les sols qu'à fabriquer des pansements antimicrobiens, des habits de pompiers ou des joints de tambours dans les sécheuses à linge.

Les quatre marchés en croissance identifiées par l'industrie canadienne ? Le secteur médical, les transports, la construction et les équipements de protection.

Cette transformation ne s'est cependant pas faite dans la joie. Elle a été forcée, et elle fait toujours mal.

« On a été la première industrie à être frappée - je devrais dire bulldozée - par l'Asie », rappelle Guy Drouin, président et chef de la direction de l'entreprise Texel et président d'Expo Hightex 2009.

La concurrence asiatique a commencé à mettre de la pression dans les années 1990, pour culminer avec l'ouverture des frontières dans les années 2000 (voir autre texte). Délocalisations, fermetures d'usines, mises à pied : le Québec y a goûté.

Il est particulièrement difficile de trouver des statistiques sur l'industrie textile. Le secteur est aujourd'hui tellement éclaté et différent de ce qu'il était qu'il a perdu les statisticiens en chemin.

Les chiffres de l'Institut canadien du textile, d'Industrie Canada et de l'Institut de la Statistique du Québec ne concordent pas toujours. Au Québec, le secteur aurait tout de même perdu 47 % de son chiffre d'affaires entre 2001 et 2007 (3,73 à 1,97 milliards) selon l'Institut de la statistique du Québec.

Ces changements, François Lapierre les a vécus de près. M. Lapierre est vice-président, ventes et développement, de Consoltex - l'une des plus grandes et plus anciennes entreprises du secteur.

Quand il a débuté dans l'industrie, il y a 39 ans, celle-ci avait une force : sortir du tissu bon marché à grand volume.

« On faisait beaucoup de ce que j'appellerais des produits de commodité. Des tissus pour les chemises, pour les pantalons - des choses qui, aujourd'hui, arrivent ici déjà toutes faites », explique-t-il.

Facile de deviner ce qui est advenu de ces activités à faible valeur ajoutée.

« Il y a cinq ans, on avait encore cinq usines. Aujourd'hui, on en a deux », dit M. Lapierre.

Un coup dur ? Certainement. Sauf que les usines restantes, toutes deux à Cowansville, ne font pas de la « guenille ». Les textiles qu'elles fabriquent se retrouvent dans les habits spécialisés des travailleurs des sables bitumineux, des monteurs de ligne d'Hydro-Québec ou des soldats de l'armée canadienne.

« Aujourd'hui, on vend peut-être cinq fois moins de tissu, mais on le vend cinq fois plus cher », dit M. Barrière.

L'homme ne se raconte pas d'histoires. Son entreprise, qui a déjà compté plus de 500 employés, n'en emploie plus que 130. Et s'il ne veut pas dévoiler ses ventes, il admet que le chiffre d'affaires a bel et bien diminué.

Sauf que Consoltex a deux qualités non négligeables. Elle existe encore... et elle est profitable.

« C'est le reflet de l'industrie, dit M. Lapierre. On a réduit la production. On s'est aligné vers des produits de niche, à haute valeur ajoutée, sans viser nécessairement les hauts volumes. »