Le rôle de l'Autorité des marchés financiers (AMF) auprès des fonds Norbourg au cours des années antérieures à l'éclatement de la fraude continue d'être mis en cause au procès des cinq complices présumés de Vincent Lacroix, qui en est à sa deuxième semaine.

Et ce, malgré une tentative très médiatisée du président actuel de l'AMF, Jean St-Gelais, de contredire les «graves allégations» suscitées depuis le début de ce procès.

Dans une lettre publiée hier dans les principaux quotidiens québécois, le PDG de l'AMF s'en prend aux commentaires suscités par l'examen au procès, la semaine dernière, d'un rapport d'une inspection spéciale menée chez Norbourg en novembre 2002.

« (...) laisser entendre que dès 2002, l'AMF avait en mains les éléments pour freiner les activités frauduleuses de Vincent Lacroix. Rien n'est plus faux», écrit M. St-Gelais. Il dirige plutôt le blâme sur les «sentinelles» du secteur financier, dont la firme comptable KPMG.

Interrogatoire serré

Au procès Norbourg, l'un des inspecteurs de l'AMF en 2002, Aubert Gagné, aujourd'hui retraité, a subi un interrogatoire serré des cinq avocats de la défense qui voulaient lui faire dire que son rapport serait demeuré lettre morte à l'Autorité.

Et ce, malgré sa recommandation d'une enquête plus poussée sur des aspects troublants de Norbourg, dont l'origine et le transfert des millions de dollars que Vincent Lacroix prétendait alors gérer.

Mais hier, c'est lors du témoignage d'un analyste de l'AMF, Jacques Doyon, en poste depuis 25 ans, que les avocats de la défense ont tenté de nouveau de discréditer l'Autorité devant les jurés.

Cette fois, ils s'en sont pris aux renouvellements des permis de Norbourg par l'AMF en 2004, qui auraient eu lieu alors que la firme était déjà la cible d'une enquête spéciale.

Ces permis de gestion et de vente de fonds d'investissement, des «visas» dans le jargon financier, concernaient la continuité des fonds Norbourg.

Auparavant, c'était lors de l'acquisition de la société de gestion des fonds Evolution des mains de la Caisse de dépôt et placement que l'AMF avait consenti à un délai écourté pour l'avis aux investisseurs des fonds.

Le délai d'avis habituel de 60 jours lors d'un changement de propriété d'un gestionnaire de fonds a été raccourci de moitié, à 35 jours, a acquiescé M. Doyon aux questions insistantes des avocats de la défense.

«A-t-il été question à l'AMF de surseoir à l'émission des visas de Norbourg en raison de l'enquête déjà en cours?» a demandé l'un d'entre eux.

«Notre analyse de Norbourg et son achat des fonds Evolution nous avaient permis d'obtenir des éléments convaincants pour accorder la demande de dérogation (au délai d'avis de 60 jours)», a répondu M. Doyon.

Et à une autre question sur «quels critères avait l'AMF pour émettre des visas?», M. Doyon a précisé que les fonds visés devaient notamment démontrer «les assises financières nécessaires» ainsi que des règles de «protection des épargnants».

Aussi, selon M. Doyon, l'AMF avait obtenu l'assurance de la continuité de «l'équipe de gestion» des fonds Evolution par son acquéreur, Norbourg.

Mais cette continuité n'a duré finalement que «quelques mois, avant que Norbourg les change tous», a témoigné M. Doyon.

Pour le contexte, on sait maintenant qu'un an et demi plus tard, en août 2005, la gestion frauduleuse de fonds Norbourg éclatait au grand jour lors de perquisitions policières à ses bureaux du centre-ville de Montréal, à La Prairie et à Candiac.

Au procès, aujourd'hui, c'est d'ailleurs l'un des dénonciateurs présumés de Norbourg auprès des autorités, Jean Hébert, qui continuera son témoignage.

Après cinq ans comme analyste des sociétés de fonds chez l'AMF, Jean Hébert avait été embauché par Norbourg en septembre 2004 afin de superviser sa documentation réglementaire.

En début de témoignage, hier, il a soutenu avoir identifié des transferts de fonds suspects à peine quelques mois après son arrivée en poste.