Une ancienne danseuse érotique du bar Chez Parée, Martine Landry, vient de gagner sa cause contre l'Agence du revenu du Canada, qui voulait lui faire payer de l'impôt sur les cadeaux d'une valeur d'environ 2 millions qu'elle a reçus de l'éditeur Marc-Aimé Guérin.

Selon le jugement de la Cour canadienne de l'impôt, le président et propriétaire de Guérin Éditeur a donné à Mme Landry jusqu'à 1,3 million en espèces, un bar (Le Sainte-Élisabeth, situé au centre-ville de Montréal), 168 000$ en liasses de 1000$ pour s'acheter une maison, huit manteaux de fourrure, des bijoux, un voyage et deux voitures (une Corvette et de l'argent pour s'acheter une BMW). Tous ces cadeaux, dont la valeur totale est estimée à près de 2 millions, ont été offerts entre 1998 et 2002.

Marc-Aimé Guérin, qui a maintenant 80 ans, est président et propriétaire de Guérin Éditeur ltée, une maison d'édition spécialisée dans le matériel pédagogique. Il est identifié comme M. X dans le jugement.

Le juge Robert Hogan, de la Cour canadienne de l'impôt, a donné raison sur toute la ligne à Martine Landry, à qui le fisc fédéral réclamait environ 400 000$ en impôts impayés, intérêts et pénalités. L'Agence du revenu du Canada voulait ajouter des revenus de 602 617$ aux déclarations de Mme Landry lors des années 1998 à 2002, mais le tribunal a conclu que Mme Landry avait reçu des dons de la part de Marc-Aimé Guérin. Au Canada, les dons ne sont pas imposables.

M. Guérin et Mme Landry se sont connus il y a 12 ans au bar de danseuses nues Chez Parée, où Mme Landry travaillait comme danseuse érotique. Le gérant du bar, John Baril, a expliqué dans son témoignage que M. Guérin était «un client très important» de Mme Landry. «Cependant, leur relation a rapidement changé, écrit le juge Hogan. Il payait (...) pour lui tenir compagnie plutôt que pour danser. (...) Il était impressionné par sa détermination à réussir malgré ses origines modestes. (...) Leur relation a évolué en relation symbolique père-fille.»

«Un programme de réussite»

Après avoir quitté son emploi Chez Parée en raison d'un client qu'elle jugeait «dangereux», Mme Landry a obtenu l'aide de M. Guérin afin de se lancer en affaires. Selon le témoignage de Marc-Aimé Guérin lors de l'audience, Mme Landry et M. Guérin ont établi un «programme de réussite» pour l'ancienne danseuse érotique. «C'est ça, mon idée, de rendre la personne indépendante, a dit M. Guérin dans son témoignage. C'est comme si elle était allée à une caisse populaire. Mais elle est venue me voir, je faisais la caisse populaire.»

Comme investissement, Marc-Aimé Guérin lui a suggéré d'acheter le bar Le Sainte-Élisabeth, dont les propriétaires avaient fait faillite. Il lui a fait un prêt de 150 000$ pour acheter le bar, en plus d'acheter lui-même l'immeuble par le truchement de sa société, Les Immeubles Leopold. Quelques années plus tard, M. Guérin a renoncé au prêt et a vendu l'immeuble à Mme Landry pour 50 000$, alors qu'il valait environ 315 000$.

Le juge Robert Hogan émet des réserves au sujet de cette transaction, car l'immeuble du bar Le Sainte-Élisabeth a été vendu bien en deçà du prix du marché. «Ce qui est certain est que M. X risque d'avoir des ennuis avec l'administration fiscale. (...) Il se peut qu'il y ait eu manquement (à la Loi de l'impôt sur le revenu). (...) Cependant, ceci est un débat pour une autre journée», écrit le juge.

Dans son témoignage, Marc-Aimé Guérin a justifié sa décision de vendre au rabais l'immeuble du bar Le Sainte-Élisabeth à Mme Landry, même si l'UQAM lui aurait offert environ 700 000$ selon ses dires. «C'était un bon débarras, a dit M. Guérin. On commençait à confondre Guérin Éditeur, l'éditeur des écoles qui dit aux enfants comment s'instruire, comment se conduire, comment s'éduquer et puis en même temps, il est dans un pub où on a reviré tout à l'envers la veille.» Par l'entremise d'une société lui appartenant, Martine Landry est toujours propriétaire du bar Le Sainte-Élisabeth.

Jusqu'à 1,35 million au Casino

Les dons les plus importants de M. Guérin ont eu lieu au Casino de Montréal, où M. Guérin et Mme Landry avaient leurs habitudes. Sur la base de différents témoignages, le juge Hogan a calculé que M. Guérin a remis à Mme Landry une somme allant jusqu'à 1,35 million en argent comptant en cinq ans lors de leurs visites au Casino de Montréal. Mme Landry déposait ensuite l'argent dans un guichet automatique. Les sommes étaient tellement considérables qu'elles bloquaient parfois les guichets.

«Prise au dépourvu» par l'enquête du fisc fédéral, Martine Landry a pris toutes les mesures possibles afin de protéger l'identité de son généreux donateur. Après avoir tenté de garder son identité secrète, elle a dû la dévoiler au fisc afin de faire valoir ses arguments.

Lors de son témoignage en cour, Marc-Aimé Guérin a été traité comme un témoin hostile par le juge Hogan, qui a souligné les contradictions avec ses témoignages antérieurs, où il niait avoir fait des dons importants à Mme Landry. Dans l'éventualité où certains dons seraient provenus des actifs des entreprises de M. Guérin, le juge Hogan a rappelé que ces dons «pourraient être assujettis à l'impôt des sociétés et des particuliers».

Concernant la cotisation fiscale de Martine Landry, la Cour canadienne n'a pas retenu la méthode d'imposition de l'actif net proposée par l'Agence du revenu du Canada, qui cherchait à imposer les actifs du contribuable et non ses revenus. Le tribunal a jugé que cette méthode d'imposition est «arbitraire, insatisfaisante et imprécise».

La Cour canadienne de l'impôt a attribué des dépens de 35 000$ à Martine Landry en raison des agissements de l'Agence du revenu du Canada, qui a jusqu'au 30 septembre prochain afin d'interjeter appel de la décision. «Nous étudions cette possibilité», a dit Me Marie-Claude Landry (aucun lien avec Martine Landry), l'avocate du ministère de la Justice du Canada qui représente l'Agence.

Traitée «comme une criminelle»

«Nous sommes heureux du jugement, a déclaré Me Yves Ouellette, l'avocat de Martine Landry. La Cour conclut que l'Agence aurait dû écouter la version de ma cliente plutôt que celle de M. X. L'Agence n'a pas fait son travail correctement, elle a traité ma cliente comme une criminelle.»

Martine Landry examine actuellement la possibilité de poursuivre l'Agence du revenu du Canada au civil.

L'ancienne danseuse érotique espère que le jugement de la Cour canadienne de l'impôt lui permettra de régler son litige avec Revenu Québec, qui lui réclame environ 643 000$ en divers impôts impayés (400 000$ en impôts sur le revenu, pénalités et intérêts, 55 621$ en TPS, 88 135$ en TVQ). Le dossier est présentement devant la Cour du Québec.

Nos demandes d'entrevue auprès de Marc-Aimé Guérin et de son avocat, Me François Goyette, sont restées sans réponse hier.