Cinq ans après avoir fait connaître son intention de construire un pipeline de 300 millions entre sa raffinerie de Lévis et Montréal, Ultramar attend toujours de pouvoir commencer à remuer la terre.

Le lien souterrain de 250 km avait pourtant reçu dès le départ la bénédiction du gouvernement et de tous les élus, qui ont accepté un projet de loi privé accordant à l'entreprise un droit d'expropriation pour mener à bien son projet. C'était en juin 2005.

 

L'entreprise, filiale du raffineur américain Valero Energy, a depuis cheminé à travers le labyrinthe par lequel doivent passer tous les projets de ce genre: études d'impact, audiences publiques, consultations avec les municipalités, négociations avec les propriétaires des terrains. Toutes les autorisations nécessaires sont acquises ou sur le point de l'être.

Alors qu'elle touche au but, Ultramar se heurte à l'opposition d'une poignée de propriétaires qui ont juré que le pipeline ne passerait pas sur leurs terres. L'un d'eux, un seul, Mario Chrétien, de Victoriaville, vient de porter sa cause en Cour supérieure et jure qu'il est prêt à se rendre en Cour suprême. L'audience est prévue pour le mois d'octobre.

«On a l'impression que l'intention est de retarder le projet le plus possible pour qu'on finisse par l'abandonner», a avancé le porte-parole de la pétrolière, Louis Forget.

Ultramar n'a jamais pensé faire l'unanimité autour de son projet. Elle attend donc avec impatience le décret gouvernemental qui lui permettrait de commencer les travaux tout en continuant d'essayer de s'entendre avec les propriétaires récalcitrants. Et le gouvernement, tout à coup, hésite à donner le feu vert promis.

«S'ils veulent un projet, qu'ils nous donnent le décret, sinon, qu'ils nous le disent et on tire la plogue», a dit Louis Forget. Aucune entreprise privée ne peut se permettre d'attendre indéfiniment avant de savoir si elle pourra ou non investir des centaines de millions de dollars, ajoute-t-il.

Depuis cinq ans, le paysage économique a changé considérablement. Dans le secteur de l'énergie, les bouleversements ont été radicaux. Les raffineurs, qui ont profité de plusieurs années de vaches grasses, ont vu leurs profits diminuer brutalement. «On entre dans un cycle difficile, plusieurs projets ont été abandonnés», reconnaît Louis Forget.

Le coût du projet a aussi augmenté. Ultramar prévoyait investir 200 millions pour construire un pipeline qui aurait été mis en service en 2008. En 2009, le coût prévu de l'oléoduc atteint 300 millions et aucune date de mise en service ne peut plus être avancée. L'entreprise a déjà dépensé 25 millions dans la préparation de son projet.

Des raisons de sécurité

Ultramar raffine 260 000 barils de pétrole brut par jour à Lévis et achemine la moitié de sa production vers les marchés plus populeux de Montréal et de l'Ontario.

Actuellement, les produits raffinés voyagent en bateau et surtout en train, avec les risques que cela comporte. Le train chargé de carburant a déjà déraillé 18 fois depuis sa mise en service, en 1996. Un de ces accidents a causé la mort de deux personnes, et quatre déraillements ont causé un déversement d'hydrocarbures.

L'oléoduc permettrait de remplacer les trains d'Ultramar entre Lévis et ses installations de stockage de Montréal-Est, soit de sept à huit convois par semaine. Ultramar soutient que le gazoduc serait infiniment plus sûr que le train, ce que ne contestent pas ses opposants.

Le maire de Saint-Charles-sur-Richelieu, Benoit DeGagné, a participé aux négociations avec Ultramar pour épargner des boisés protégés que devait traverser le pipeline. Il croit lui aussi qu'il s'agit d'une bonne solution sur le plan environnemental, mais soutient que ce n'est pas la principale préoccupation d'Ultramar. «Sur le plan environnemental, ça peut être très positif, mais pour les profits d'Ultramar aussi», a-t-il déclaré.

L'Union des producteurs agricoles s'est mis à dos plusieurs de ses membres en aidant les propriétaires à négocier avec la pétrolière pour réduire les impacts du pipeline et obtenir une juste compensation pour l'utilisation de leurs terres.

On ne l'a pas fait parce qu'on est pour le projet, a souligné Michel Saucier, directeur général de l'UPA de Saint-Hyacinthe. «Notre position est simple, on ne peut pas s'opposer parce que s'opposer à des projets comme ça, c'est mettre fin au développement économique du Québec.»