George Gillett a réalisé un important gain en vendant le Canadien de Montréal, mais tout indique qu'il ne paiera pas un cent d'impôt au Canada sur cette transaction.

Selon deux sources, les frères Molson et leurs partenaires ont finalement offert 633 millions CAN pour mettre la main sur l'avoir de M. Gillett. La transaction comprend 100% du Centre Bell et 80,1% du Canadien et du Groupe spectacles Gillett (les 19,9% restant ont toujours appartenu à la brasserie Molson-Coors).

D'après trois fiscalistes, la structure juridique des entreprises de M. Gillett est telle qu'elle lui permet, en toute légalité, d'être dispensé d'impôt au Canada.

La stratégie fiscale privera les gouvernements d'environ 63 millions de dollars.

À proprement parler, George Gillett n'a pas vendu le Canadien et le Centre Bell, a-t-on appris, mais la société en commandite qui détient ces deux entités. Dans un tel cas, le gain en capital est imposé entre les mains des commanditaires de la société vendeuse selon leur lieu de résidence. Les commanditaires sont les membres de la famille Gillett, essentiellement, qui résident aux États-Unis.

Les fiscalistes Claire Laplante, de la firme Samson Bélair, Éric Labelle, de Raymond Chabot, et André Lareau, de l'Université Laval, sont unanimes. «Si l'on se fie au paragraphe 13 (4) de la Convention fiscale Canada-États-Unis, George Gillett ne paiera aucun impôt sur le gain en capital de cette transaction à la condition que la portion immobilière (le Centre Bell) ait une valeur inférieure à 50% de la transaction», nous explique Claire Laplante, associée en fiscalité internationale de Samson Bélair Deloitte & Touche.

Cette condition devrait être aisément respectée. Dans son litige avec George Gillett, la Ville de Montréal attribue une valeur maximale de 225 millions au Centre Bell, ce qui équivaut à seulement 35 % des 633 millions de la transaction.

En 2001, George Gillett avait payé 150 millions pour mettre la main sur les 80,1% du Canadien, en plus de 100 millions pour le Centre Bell, soit un total de 250 millions. Le prix payé par les Molson, estimé à 633 millions, équivaudrait donc à un gain en capital de 383 millions pour la famille Gillett.

Au Canada, le gouvernement fédéral et les provinces imposent la moitié du gain en capital. Le taux d'imposition est de 19% au fédéral, de 11,9% au Québec et de 14 % en Ontario. Le taux combiné fédéral-provincial oscille donc entre 30,9% et 33% selon le lieu d'imposition (le Canadien est notamment détenu par un holding ontarien).

Autrement dit, la famille Gillett est dispensée d'une facture d'impôt canadienne de quelque 63 millions, selon nos renseignements.

Nous avons fait part de nos constatations fiscales au club de hockey et demandé de parler à M. Gillett à ce sujet, sans succès. «Il n'y aura aucun commentaire de George Gillett ou de l'organisation du Canadien tant que le processus de vente ne sera pas complété», a déclaré le porte-parole du Canadien, Dominique Saillant.

Des impôts aux États-Unis?

Le fiscaliste Éric Labelle, de Raymond Chabot Grant Thornton, n'est pas outré par cette manoeuvre fiscale. Certes, le gain de M. Gillett ne sera pas imposé au Canada, mais il le sera aux États-Unis.

Ensuite, la disposition de la convention fiscale Canada-États-Unis s'applique autant dans un sens que dans l'autre, rappelle-t-il. Par exemple, si Bombardier vend une entreprise américaine, elle sera dispensée de l'impôt aux États-Unis sur le gain en capital, à certaines conditions, mais devra payer son dû au Canada. «C'est ainsi que ça fonctionne dans la plupart des pays», dit-il.

Aux États-Unis, donc, le gain avec la vente Canadien devrait être imposé selon le lieu de résidence des commanditaires de la société vendeuse. Ces commanditaires sont George Gillett et ses quatre fils, de même que Jeffrey Joyce, nous indique le registre des entreprises du Québec.

George Gillett père déclare être résidant du Wyoming ou de l'Idaho, selon deux documents publics de 2009. Dans l'État du Wyoming, il n'y a aucun impôt sur le gain en capital; seul l'impôt fédéral de 15% s'applique. En Idaho, au Colorado et en Géorgie, où résident les autres commanditaires, le taux d'imposition combiné fédéral-État oscille entre 18 et 20%.

Il n'est pas clair, cependant, si un impôt sera réellement payé. En effet, aux États-Unis, un gain en capital peut être ramené à zéro si un contribuable a accumulé d'autres pertes par ailleurs, explique Claire Laplante. Les pertes admissibles peuvent parfois remonter aux 15 ou 20 années dernières.

Sachant les difficultés que connaît George Gillet avec son club de soccer de Liverpool, au Royaume-Uni, et son écurie Gillett Evernham Motorsports, de la série Nascar, il n'est pas impossible que soit annulé l'impôt sur le gain du Canadien.

- Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot