Dès décembre 2002, des inspecteurs de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) ont constaté que Vincent Lacroix puisait dans les fonds de Norbourg Services Financiers pour financer des dépenses personnelles comme l'achat de résidences, révèlent des interrogatoires dévoilés jeudi.

Dans le rapport rédigé par trois inspecteurs, on peut lire: «Nous sommes donc en présence d'une situation étrange où le conseiller peut financer ses opérations à l'aide des fonds d'un de ses clients!»

Le document, déposé jeudi en cour, ajoute que des fonds qui ont transité par un compte de Norbourg ont servi à l'achat d'une maison et d'un appartement en copropriété.

C'est Jean Lorrain, directeur de la conformité et de l'application à la CVMQ, ancêtre de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui avait ordonné la tenue de l'inspection de Norbourg.

Interrogé en novembre dernier par les avocats des instigateurs d'un recours collectif intenté contre Lacroix, l'AMF et de nombreuses autres parties dans cette affaire, M. Lorrain a expliqué qu'il avait gardé «une impression» de Lacroix après l'avoir rencontré, en 2001. Ses doutes se sont épaissis lorsqu'un employé de la CVMQ, Eric Asselin, est devenu vice-président aux finances de Norbourg, à l'automne 2002.

Dans la foulée de l'inspection, Jean Lorrain a recommandé de déclencher une enquête en bonne et due forme sur Norbourg, mais le chef du contentieux de la CVMQ, Jean Villeneuve, n'est pas allé de l'avant.

En septembre 2003, Vincent Mascolo, l'un des inspecteurs qui s'est penché sur le dossier Norbourg en 2002, est revenu à la charge et a à nouveau suggéré la tenue d'une enquête dans une note de service transmise à Pierre Bettez, un ancien policier de la Sûreté du Québec qui avait remplacé Jean Lorrain au service de la conformité de la CVMQ.

L'organisme a alors mis en place une «pré-enquête». Au cours d'un interrogatoire mené en février par les avocats des victimes de Norbourg, l'un des responsables de cette démarche, André Gagnier, a soutenu qu'une enquête sur un éventuel blanchiment d'argent chez Norbourg allait nécessiter «pas mal de temps, pas mal d'argent, pas mal de monde, (de sorte que) ça ne se justifiait pas en regard de ce qui apparaissait là-dedans».

En avril 2004, Michel Carlos, enquêteur au service de la Banque Nationale (TSX:BNC), a téléphoné à Pierre Bettez pour le prévenir que Lacroix était soupçonné d'avoir détourné plus de 2 millions $ d'un compte de Norbourg vers son compte personnel. M. Bettez a dit avoir alerté la SQ au sujet d'un autre transfert douteux, mais il n'aurait pas averti ses collègues à la CVMQ, d'après les avocats des victimes.

En octobre 2004, l'AMF a finalement ouvert une enquête sur Norbourg, près de deux ans après le rapport de vérification de 2002. Le processus est toutefois lent: en avril 2005, l'organisme a reçu de la part de Pierre Bettez, retourné à la SQ, un rapport du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) sur Norbourg, mais ne l'a pas utilisé dans le cadre de son investigation.

Ce n'est que le 9 août 2005, alors qu'Eric Asselin se rend à l'AMF pour dénoncer les agissements de Vincent Lacroix, que le scandale éclate au grand jour.

Pour les instigateurs du recours collectif, il n'y a aucun doute: la CVMQ et l'AMF ont fait preuve d'une «absence totale de diligence», d'«incurie» et d'«insouciance» dans l'affaire Norbourg.

«Ces fautes sont à ce point grossières, inexplicables et incompréhensibles que l'AMF doit être privée du bénéfice de l'immunité qu'elle invoque», ont écrit les avocats des victimes dans le document rendu public jeudi.

Dans sa défense, déposée l'été dernier, l'AMF niait s'être montrée négligente, prétendant que son inspection de 2002 n'avait révélé que des infractions techniques.

Le recours collectif réclame, au nom de plus de 9000 investisseurs floués par Norbourg, quelque 130 millions $, soit le montant total des sommes détournées par Lacroix et ses complices. Le procès n'aura pas lieu avant l'automne 2010.

Entre-temps, Lacroix devra subir son procès criminel à compter de septembre.