Le Québec se trouve au coeur de la lutte de pouvoir qui se joue entre le détaillant albertain Groupe Forzani et le fonds d'investissement new-yorkais Crescendo Partners. Cette lutte sera déterminante pour l'avenir du franchiseur des Sports Experts.

Après avoir accumulé en catimini 5,1% des actions en circulation de Forzani, Crescendo réclame la nomination de deux administrateurs au conseil cette entreprise de Calgary, dont le titre se languit en Bourse depuis quelques années. Mais pour faire place à ces dirigeants américains, Crescendo souhaite éjecter du conseil d'administration le seul représentant du Québec.

Il s'agit d'Henri Drouin, ancien président du conseil d'administration du grand quincailler Rona.

«Dans mon esprit, c'est impensable qu'on veuille retirer du conseil notre représentant du Québec. C'est là où se trouve 30% de notre business au Canada», dit Robert «Bob» Sartor, chef de la direction de Forzani, en entrevue téléphonique avec La Presse. Bob Sartor a grandi au Québec, étudié à McGill et à Concordia, mais ce comptable a quitté la province il y a 12 ans.

Au Québec, Forzani est connu par l'entremise des bannières Sports Experts, Atmosphere et Intersport. Sports Experts est le joyau de la couronne, avec des ventes au pied carré de 40% supérieures à celles de Sport Chek, l'une des grandes bannières de Forzani au Canada anglais avec Athletes World et Coast Mountain Sports.

La majorité des magasins Sports Experts se trouvent toujours au Québec, soit quelque 170 magasins sur 225, les autres étant situés en Ontario et en Alberta.

Ancien propriétaire-exploitant d'une quincaillerie Rona transformée en centre de rénovation à Amos et d'une épicerie à Barraute, dans son Abitibi natale, Henri Drouin est un commerçant de carrière. Il n'est pas le seul à connaître l'industrie du détail au conseil de Forzani, où siège aussi Paul Walters, l'ancien président de Sears Canada.

«Mais c'est notre expert pour tout ce qui touche les relations avec les franchisés», note Bob Sartor.

Au conseil d'administration du quincailler Rona de 1976 à 2002, dont 21 années à titre de président, Henri Drouin était l'un de ceux qui ont négocié avec succès l'ouverture des magasins Rona de grande surface avec les petits détaillants franchisés qui craignaient de se faire concurrencer par leur propre entreprise.

Joint à sa résidence de Prévost, dans les Laurentides, Henri Drouin prend la chose avec philosophie. «J'imagine qu'il leur fallait tasser quelqu'un pour faire la place à leurs candidats», dit ce retraité de 67 ans qui siège aussi aux conseils de Cactus Commerce et de Novabrik, deux PME.

Même si Crescendo est établie à New York, la firme est très active au Canada depuis une quinzaine d'années. Les règles du jeu donnent le champ libre aux investisseurs activistes, a expliqué son grand patron, Eric Rosenfeld, lors d'une conférence récemment tenue à Montréal. «Au Canada, a-t-il dit, la démocratie d'entreprise règne!»

Eric Rosenfeld a investi dans une vingtaine d'entreprises, parmi lesquelles Spar Aerospace, Ad Opt Technologies et BCE Emergis. Rares sont celles qui sont restées intactes après l'arrivée des représentants de Crescendo au conseil. La majorité ont fait l'objet d'une vente ou ont été complètement transformées par la cession d'activités significatives.

Dans la mesure où Crescendo a ouvert son jeu au sujet de Forzani, la firme n'entend pas démanteler le détaillant ou mettre en vente ses bannières, du moins à court terme. Mais Eric Rosenfeld aimerait accélérer la mise en oeuvre du plan d'affaires de l'entreprise, raconte Bob Sartor.

Forzani prévoit que son chiffre d'affaires, de près de 1,6 milliard de dollars, atteindra 2,6 milliards de dollars d'ici cinq ans. Le détaillant entend aussi doubler son profit d'exploitation (BAIIA) au cours de cette période, pour qu'il se situe entre 190 et 200 millions de dollars en 2014.

Pour ce faire, Forzani compte croître tout unifiant et simplifiant ses trop nombreuses bannières axées sur le sport ou le plein air. Forzani ne compterait plus que neuf enseignes différentes comparativement à 16 actuellement.

«Crescendo voudrait faire cela en trois ans au lieu de cinq, mais c'est impossible à moins de claquer une fortune pour casser les baux», dit Bob Sartor, en rappelant que Forzani a institué un dividende et a racheté des actions depuis deux ans.

Outre Henri Drouin, Crescendo souhaite aussi éjecter du conseil de Forzani Donald Gass, ancien associé du cabinet comptable Deloitte&Touche.

Ce sont les actionnaires qui auront le dernier mot dans cette bataille de procurations. Ils choisiront le prochain conseil de Forzani lors de l'assemblée annuelle qui se tiendra le 10 juin.