Le Canada est en train de négocier une entente de libre-échange avec l'Union européenne pour diversifier ses marches d'exportation. La région des Bois-Francs a pris une longueur d'avance, construisant depuis un an une relation avec... la Pologne. Portrait de ces liens particuliers

Fin avril dans la salle de contrôle de Boralex à Kingsey Falls. Le directeur général Denis Aubut explique à une délégation polonaise de quelle façon on empêche les saumons de se faire manger par les turbines de ses centrales. Et les anguilles aussi.

 

Des anguilles? s'enquiert un des dignitaires au milieu d'autres moues perplexes. Oui, c'est un petit serpent d'eau, explique quelqu'un. Ah! une wegorz, s'exclame finalement la directrice des affaires économiques au bureau du président de l'Assemblée régionale de la Grande Pologne, qui s'empresse de refiler la traduction au vice-président, l'équivalent d'un vice-premier ministre provincial.

Victoriaville, c'est la troisième et dernière étape d'une mission économique d'élus et de dignitaires polonais. Avant Victo, il y a eu, plus tôt dans la semaine, les régions de Toronto et de Montréal, qui font saliver les Polonais avec leur industrie aérospatiale. Et dans les derniers mois, la délégation de Grande Pologne s'est aussi rendue en Inde et au Brésil, là aussi à la recherche d'occasions d'affaires.

«Tout ce qui est innovateur est bienvenu (en tant qu'investissement)», explique en entrevue le vice-président de l'Assemblée régionale Leszek Wojtasiak, quand on lui demande ce que sa bande et lui sont venus faire dans les Bois-Francs.

Si les Polonais cherchent à attirer des investissements chez eux, les entrepreneurs des Bois-Francs, eux, veulent profiter des milliards de dépenses qu'engagera la Pologne grâce aux fonds structurels européens. Ces fonds aident les régions plus pauvres à se mettre au niveau du reste de l'Europe, surtout en ce qui a trait aux infrastructures. L'Espagne, le Portugal et l'Irlande en ont grandement profité.

Selon des chiffres du Ministère du développement régional polonais, l'Union européenne versera à la Pologne 67,3 milliards d'euros entre 2007 et 2013, soit environ 107 milliards de dollars canadiens. Cette somme n'inclut pas la participation du gouvernement polonais, qui fait monter le total à 150 milliards.

Le «filon polonais»

C'est cette manne qui a attiré l'attention de Mark Patrick Tame. Car, s'il faut mettre un nom sur cette nouvelle relation Pologne-Victoriaville, écrivez le sien.

Ancien employé de Foresbec, de Drummondville, M. Tame avait commencé à percer le marché polonais pour son ancien employeur. En visite à la Corporation de développement économique des Bois-Francs au début de 2008, il a convaincu les maires d'embaucher une personne en Pologne qui travaille dans les bureaux de l'Agence de coopération de Basse-Silésie, première province, avant la Grande Pologne, à établir des liens avec la région. «Je ne voulais pas perdre le filon polonais», dit M. Tame.

Le travail de cette employée outre-mer est d'aider les entreprises de la région à trouver un marché pour leurs produits.

La réaction des gens d'affaires de la région a été à l'image des élus locaux: après une hésitation, ils ont plongé.

«Je ne serais pas allé en Pologne», convient Louis Coulombe, de Peintures récupérées du Québec, qui cherche un marché où vendre ses surplus de peintures récupérées dans les centres de tri du Québec. «C'est plus facile parce qu'ils ont déjà un bureau. Je suis en contact avec Katarzyna (Nieradka, l'agente commerciale en Pologne), je lui envoie des échantillons qu'elle fait parvenir à des clients. C'est une facilité qui est bien appréciée.»

Présent à un salon du secteur de la construction à Poznan, en janvier dernier, M. Coulombe a attiré l'attention d'un spécialiste de l'import-export polonais, intéressé par le bas prix de sa peinture.

Mais il garde les pieds bien sur terre. «Je ne me fais pas d'idée. Je vais être content quand ils vont nous commander le premier conteneur, mais surtout le deuxième puis le troisième, parce que c'est de la régularité qu'on cherche. On veut des clients qui vont durer.»

Frédéric Lavoie est un ingénieur de 27 ans. Dans le cadre de sa maîtrise en génie agroenvironnemental à l'Université Laval, il a mis au point une machine qui coupe les arbrisseaux et en fait des ballots ronds, comme une presse à foin. Aujourd'hui vice-président et directeur de la recherche et du développement chez FLD Biomasse Technologies, il s'est rendu dans une exposition polonaise sur les technologies de l'environnement l'automne dernier. «Ce qui nous a amenés en Pologne, dans le fond, c'est qu'ils ont les fonds structurels pour entrer dans l'Union européenne», explique-t-il du bout de son cellulaire, de New Bern en Caroline-du-Nord, où il tente de vendre ses machines. «Puis ils donnent beaucoup de subventions pour la bioénergie, parce que leur principale source d'énergie, c'est le charbon. Ils sont en train de faire le passage pour être plus verts.»

Son invention, dont certains modèles sont encore au stade de la mise au point, permet justement de couper les saules polonais qui servent à produire de l'électricité. «Si nos machines avaient été prêtes, on aurait rempli un conteneur pour l'envoyer... il y en a un qui était prêt à en acheter trois tout de suite.»

Engouement pour l'environnement

L'environnement. L'ancien pays communiste est à l'affût de nouvelles technologies qui pourront l'aider à améliorer son bilan environnemental. À preuve, cette invitation faite au directeur général de la Corporation de développement économique des Bois-Francs, René Thivierge. «Le vice-président m'a dit: «On pense que vous devriez revenir nous voir avec une filiale qui a un lien avec l'environnement.» Ça s'est concrétisé autour de la table à la cabane à sucre.» Une cabane de Sainte-Hélène-de-Chester, pour ceux qui s'intéressent à la petite histoire.

Cet engouement pour l'environnement et sa gestion, les dirigeants de Groupe Gaudreau l'ont aussi senti. «Ils ont été tellement impressionnés qu'ils se sont accrochés les pieds chez nous, lance Johnny Izzy, directeur général du spécialiste du recyclage et des déchets. S'ils ont de l'intérêt, ça peut passer par un transfert de technologies et de connaissances.»

Mais pour l'heure, on n'est pas encore là. Après cinq missions en Pologne pilotées par la Corporation de développement, seule l'entreprise Transylve a obtenu un petit contrat pour son bois expédié par conteneur. «Ce n'est pas la solution à tous nos problèmes, explique le grand patron, Jean-Yves Mailhot. Mais c'est le potentiel qu'on voit.»

Un potentiel, oui, mais de la patience aussi, selon Gilbert Doucet, dont l'entreprise, R. Désilet, fabrique des coffrages à béton. «Selon moi, la Pologne, ce n'est pas avant deux ans», explique-t-il.

La raison? La Pologne a beau dépenser beaucoup en infrastructures, ses méthodes de construction ne sont pas les mêmes qu'ici. Les blocs de béton sont plus populaires que le coulage, rendu possible grâce aux coffrages de M. Doucet. Mais il ne perd pas espoir. «À mon avis, quand un ou deux constructeurs vont avoir acheté des coffrages, ça va faire boule de neige», dit-il, dans son bureau de Daveluyville.