La Loi sur l'équité salariale a fait couler beaucoup d'encre lorsqu'elle a eu 10 ans en 2006. Mais dans les faits, beaucoup d'employeurs ont encore du mal à la mettre en application sur le terrain.

Dix ans plus tard, la moitié des entreprises concernées par la Loi n'avaient pas encore terminé ou amorcé de démarche d'équité salariale, selon un Rapport du ministre du Travail.

 

«Rarement une loi a été si peu respectée et a donné si peu d'amendes pour son non-respect», constatait Judith Carroll, coordonnatrice du service des relations du travail à la CSN. Toutefois, on peut nuancer ce constat en rappelant que parmi les employeurs au Québec, un grand nombre sont des PME avec peu d'employés.

«Le fait que la moitié des employeurs ne se soient pas conformés ne signifie pas que la moitié des femmes n'ont pas bénéficié de programmes d'équité, explique Sophie Raymond, conseillère principale en rémunération chez AON conseil. Beaucoup de grands employeurs, comme la fonction publique, se sont conformés. Sans pouvoir donner de chiffre exact, on peut certainement dire que bien plus que la moitié des travailleuses ont bénéficié de mesures d'équité salariale.»

Mais David Whissel, ministre du Travail, n'entend pas en rester là. Il a sonné la fin de la récréation pour les entreprises récalcitrantes en proposant en mars dernier un projet de loi qui donnera plus de mordant à la Loi en la modifiant.

Si le projet est adopté, les entreprises auront jusqu'au 31 décembre 2010 pour réaliser leur démarche d'équité salariale.

Celles qui n'agiraient pas avant cette date butoir et feraient l'objet d'une plainte dans les quatre mois suivants devraient payer des indemnités supplémentaires avec des intérêts au taux légal.

Par ailleurs, la Commission de l'équité salariale disposerait de moyens supplémentaires pour mieux accompagner les salariés et les entreprises. Son budget, qui se chiffre actuellement à 5,4 millions de dollars, serait augmenté de 1, 5 million dès l'entrée en vigueur de la Loi, puis de 2,5 millions pour 2010-2011.

«Cela permettra à la Commission de traiter les plaintes avec beaucoup plus de diligence, dit Judith Carroll. En 2006, le délai de traitement d'une plainte était de 547 jours!»

Principaux changements

D'autres changements importants sont prévus. Présentement, les entreprises qui comptaient moins de 10 employés quand la Loi a été adoptée n'y sont pas assujetties, même si leur nombre d'employés a augmenté depuis.

Avec les modifications, celles qui ont dépassé 10 salariés depuis ce temps deviendraient assujetties à la Loi, ce qui représente environ 10 500 entreprises de plus au Québec.

Toutefois, certaines mesures prévues pourraient leur faciliter la tâche. Par exemple, elles pourraient utiliser des méthodes différentes pour estimer les écarts salariaux. Et l'évaluation du maintien de l'équité deviendrait périodique aux cinq ans.

Réactions mitigées

Ce projet de loi suscite des critiques, notamment de la part du Conseil du patronat du Québec. Celui-ci a demandé à ce que la date limite soit reportée d'un an, soit au 31 décembre 2011.

«Pour les entreprises qui ne se sont pas encore conformées, dans le difficile contexte économique actuel, les ressources humaines et financières importantes à consacrer à cet exercice pourraient être mieux utilisées», dit Norma Kozhaya, directrice de la recherche et économiste en chef au Conseil du patronat.

Selon elle, la mécanique nécessaire pour se conformer à la loi est complexe pour les employeurs. «Il faut comparer des catégories d'emploi à prédominance masculine et féminine, et établir un pointage, notamment selon des critères de responsabilité et d'effort physique», dit-elle.

Cette complexité pourrait expliquer en partie le retard pris par les entreprises québécoises pour se conformer. Mais le ministre Whissel semble déterminé à ne pas céder aux demandes de délai supplémentaires, si l'on se fie à ses déclarations.

Cette fermeté semble plaire aux syndicats. «Selon la Loi, les entreprises avaient jusqu'au 21 novembre 2001 pour se conformer, dit Judith Carroll. Elles sont déjà très en retard, et elles ont déjà eu beaucoup de délais supplémentaires sans recevoir aucune sanction.»

Confidentialité

Parmi les modifications proposées par le projet de loi, certaines ne font pas l'unanimité. Notamment, on propose que les employés qui font une plainte à la Commission de l'équité salariale puissent conserver l'anonymat.

Le Conseil du patronat s'y oppose. «Si l'on veut que l'employeur puisse se défendre de façon adéquate, il doit pouvoir savoir qui porte plainte, dit Norma Kozhaya. Dans la plupart des autres lois, par exemple celle sur le harcèlement psychologique au travail, l'identité du plaignant est dévoilée.» Mais pour Judith Carroll, de la CNS, il est essentiel que la confidentialité soit assurée, surtout dans les milieux non syndiqués.