Les financiers et les chefs d'entreprise malmènent la langue française sans même s'en rendre compte.

Quand un patron dit sans rougir, à la télévision, que son entreprise a «une belle avion pour adresser la niche», il y a de quoi faire sursauter les linguistes. Un, avion est masculin. Deux, la niche désigne la maison de Fido, et non un créneau de marché. Trois, «adresser» est un calque du verbe anglais to address.

«C'est une des erreurs qui m'agacent le plus!» lance Paul Roux, journaliste à La Presse et spécialiste de la langue française. Cet usage déforme complètement le sens du mot en français (adresser une lettre).

 

En plus, l'expression est très facile à traduire, souligne M. Roux. On peut dire qu'on aborde un problème, qu'on s'attaque à un créneau du marché, qu'on se penche sur une question.

Bref, on n'a que l'embarras du choix... ce qui est loin d'être toujours le cas avec le jargon financier.

Cash-flow ou flux de trésorerie?

Certains termes n'ont pas de véritable équivalent en français. Par exemple, les traductions de cash flow (flux de trésorerie, marge brute d'autofinancement) sonnent un peu bizarre. Et puis, cash-flow est entré depuis longtemps dans le Petit Robert.

Doit-on employer l'anglicisme, très connu de la communauté financière, ou opter pour une traduction moins répandue, mais peut-être moins compréhensible pour un néophyte? Dilemme.

Chose certaine, «quand un anglicisme est enraciné, qu'il fait partie du jargon du métier, il est très difficile à éradiquer», dit Lorraine Pouliot, conseillère linguistique au Mouvement Desjardins.

Les traducteurs doivent agir vite... et choisir leurs batailles. Parfois, leur offensive porte ses fruits. Ainsi, l'expression «fonds commun de placement» a supplanté l'anglicisme «fonds mutuel» (mutual fund), très courant il y a 15 ans.

«La traduction existait déjà. Mais elle n'était pratiquement pas utilisée. Tous les journalistes à La Presse se sont entendus pour remplacer graduellement l'expression. Peu à peu, les autres médias ont suivi, même la publicité», raconte M. Roux.

Mais le combat est sans fin. Chaque année, de nouveaux termes spécialisés déboulent dans l'actualité financière. Prenez la crise du crédit: «C'est une réalité américaine. Tout le discours est en anglais. Ce n'est pas toujours facile à rendre. Il faut trouver un langage», dit Mme Pouliot.

CDS = TGCRDE!!!

Les sigles posent un défi encore plus grand. Avec la crise financière, les CDO et CDS ont fait les manchettes. Tous les experts, anglophones ou francophones, emploient ces sigles.

Dans les médias francophones, les journalistes se creusent les méninges. L'expression «titres de garantie contre le risque de défaillance des emprunteurs» se dessine comme traduction pour credit default swaps.

La traduction a le mérite d'être compréhensible pour les néophytes francophones. Mais les experts savent-ils qu'elle désigne les fameux CDS?

Autre problème... de taille. La traduction est longue: 67 caractères contre 21 pour la version anglaise. «Quand la solution ressemble plus à une définition qu'à un terme, c'est plus difficile à faire passer dans le langage», prévient Mme Pouliot.

Et qui se risquerait à utiliser le sigle (TGCRDE)?