En descendant vers la vallée encore enneigée de la rivière Chaudière, entre Beauceville et Saint-Joseph, la vue est spectaculaire et l'impression, paisible. Pourtant, la région s'active comme jamais. Comme les eaux de la Chaudière qui s'y heurtent souvent au printemps, les entrepreneurs de la Beauce s'efforcent de surmonter l'embâcle économique qui ralentit leurs affaires.

La récession n'est pas le premier ni le dernier obstacle auquel doivent faire face les 500 entreprises du coin (des PME pour la plupart). Elle s'ajoute aux fluctuations du dollar, à la concurrence asiatique et au manque de main-d'oeuvre.

 

La Presse Affaires a remonté la Chaudière, de Saint-Georges à Sainte-Marie, pour prendre le pouls de la Beauce entrepreneuriale.

La couenne épaisse

«Ça prend des gens qui ont la couenne épaisse, qui sont tenaces», dit Claude Morin, directeur général du Conseil économique de Beauce, en évoquant les défis de l'entrepreneur aujourd'hui.

«Mon carnet de commandes a diminué de 40% cette année», dit Pierre-Albert Dion, président d'Usimax, un atelier d'usinage de Saint-Georges-de-Beauce qui fabrique notamment des boîtes d'engrenage sur mesure.

«Les commandes sont plus petites, elles sont plus souvent faites à la dernière minute, dit-il. La clientèle demande une baisse de prix. Les concurrents qui ont de la difficulté deviennent beaucoup plus agressifs.»

Martin Rancourt, président d'Image de Mark, une firme beauceronne qui conseille 150 entreprises manufacturières sur le plan du marketing stratégique, estime que la moitié de ses clients s'en sortent bien, tandis que l'autre moitié vit des moments plus difficiles.

Déjà, la Beauce avait perdu près de 2000 emplois manufacturiers de 2005 à 2007. Leur nombre est passé sous les 20 000 en 2007.

En 2008, la Nouvelle-Beauce, la plus nordique des trois MRC beauceronnes, a perdu 258 emplois manufacturiers, soit 4% de la main-d'oeuvre. Et le directeur général du Centre local de développement (CLD) de la Nouvelle-Beauce, Denis Sylvain, en anticipe bien d'autres pour 2009.

Du côté de la MRC Robert-Cliche, les investissements sont passés sous les 20 millions$ en 2008, du jamais vu depuis 10 ans. Les exportations, en très grande majorité vers les États-Unis, ont reculé de 33%. Malgré tout, la MRC s'en tire avec 201 emplois manufacturiers perdus (environ 6%).

Il faut dire que la forte utilisation des programmes gouvernementaux atténuent la douleur et limitent les pertes d'emploi. Au cours du passage de La Presse Affaires en Beauce, il a souvent été question du programme provincial d'aide à la formation (SERRÉ) et du programme fédéral de temps partagé, qui permet de faire travailler les employés une partie de la semaine et de verser des allocations de chômage pour les jours non travaillés.

Toutefois, la Beauce ne digère toujours pas son inadmissibilité au programme provincial d'appui aux régions ressources - Chaudière-Appalaches est considérée comme une région centrale -, ce qui nuit à sa compétitivité, arguent les Beaucerons.

«On va passer la vague»

Malgré l'amplitude de la crise financière, «ce n'est pas la fin du monde qui s'en vient», insiste toutefois Marc Dutil, président et chef de l'exploitation du Groupe Canam, un pilier beauceron actif dans les structures d'acier.

«En Beauce, on a un ensemble d'entreprises assez vieilles, assez bien structurées et assez bien capitalisées, note pour sa part Denis Sylvain. Je ne pense pas que l'infrastructure industrielle de la Beauce soit en danger. On va passer la vague, non sans difficulté, mais on va la passer.»

Plusieurs entrepreneurs avaient déjà trouvé une spécialisation, un créneau qui pouvait les abriter, ou avaient pris le chemin de la diversification. D'autres le font aujourd'hui et prennent les moyens nécessaires pour garder en vie l'entreprise, qu'ils ont eux-mêmes fondée dans la plupart des cas.

Pas d'attente passive

«En Beauce, il y a un fort instinct de survie et de créativité, dit Pierre-Albert Dion. Les gens vont réagir de toutes sortes de façons.»

À Usimax, malgré l'amincissement du carnet de commandes, on continue d'embaucher. «J'ai ajouté pas mal d'équipement dans les cinq dernières années, explique M. Dion. Nous sommes passés de quatre à 16 machines à commande numérique.» Il faut des employés pour opérer la machinerie.

Malgré ces investissements, Usimax a réussi à garder un taux d'endettement très bas, soutient son président. «Ça va bien pour l'instant, mais c'est encore noir à l'autre bout du tunnel», dit-il. C'est sans doute que le tunnel est long. M. Dion ne voit pas de reprise avant 2011.

Après avoir grimpé de 18% l'an dernier, le chiffre d'affaires d'Usimax (autour de 5 millions) ne devrait pas augmenter cette année. Malgré tout, Pierre-Albert Dion ne reste pas les bras croisés.

Il en profite pour réduire les coûts, réduire les temps de mise en course et maximiser l'utilisation des machines.

«Ceux qui pensent qu'on va simplement attendre que la vague passe et repartir, ils vont se planter», souligne d'ailleurs Martin Rancourt.

«C'est une phase d'attente, mais pas d'attente passive», résume le directeur général du CLD de Beauce-Sartigan, Michel Tétrault.

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33%

Baisse des exportations manufacturières dans la MRC Robert-Cliche en 2008

19 368

Nombre d'emplois manufacturiers en Beauce en 2007. On sait déjà que les MRC de la Nouvelle-Beauce et Robert-Cliche ont perdu un total de 459 emplois l'an dernier, tandis que les données de la MRC Beauce-Sartigan (la plus importante en nombre d'emplois) seront connues bientôt.

Sources: MRC de laNouvelle-Beauce,MRCRobert-Cliche, Conseil économique de Beauce