Rares sont les marques québécoises qui réussissent à percer le marché asiatique. Le Cirque du Soleil rayonne là-bas comme ailleurs. Fruits&Passion y vend ses pots de crème. Les chaussures Aldo sont visibles depuis peu en Chine. Et puis, il y a les Japonais qui roulent sur un vélo Louis Garneau.

«Notre plus gros marché, à l'heure actuelle, c'est le Japon avec l'Océanie», confie Louis Garneau, dans son bureau de Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue de Québec. Et l'auteur de ces lignes peut en témoigner: qu'ils soient pliants ou plus haut de gamme, il n'est pas rare de voir surgir un vélo Louis Garneau au détour d'une rue à Tokyo ou de tomber face à une affiche grosse comme ça arborant le nom du Québécois à l'entrée d'un magasin de sports à Taiwan.

 

S'il était le héros d'un film populaire, on pourrait dire de Louis Garneau qu'il «think big». «On a décidé que notre business, elle n'était pas régionale ou provinciale, dit-il, attablé en face d'une mappemonde. On a décidé de conquérir le monde.»

Et en ces temps difficiles, sa stratégie porte ses fruits. «Cette année, on vit une croissance en plein récession (je ne sais pas si je vous le dis, ça me gêne...) de 40%.»

Oui, vous avez bien lu: 40% de croissance pour les six premiers mois de son année financière. «Puis ça ne lâche pas», précise l'ancien représentant de l'équipe olympique canadienne en cyclisme aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984.

Sa recette? «Ce n'est pas arrivé comme ça. C'est un travail qu'on a fait depuis des années et, je vous dirais, depuis trois ans, on a travaillé sur l'image de marque, sur la qualité du produit, sur l'innovation. On a vraiment fait un virage depuis trois ans.»

Dans ce virage, exit la production de maillots de bain et la marque Chlorophylle. Les produits pour enfants sont aussi passés sous licence externe.

«Le brand (la marque), on l'a bien développé et on n'a pas trop fait de gaffes depuis 25 ans. On a toujours été très prudents. J'ai été très prudent aussi dans ma vie personnelle parce que je porte le nom... Y'a des fois où je me dis, je ferais bien cette niaiserie-là le vendredi soir, mais non, il faut que je rentre à la maison.» Un exemple: «Prendre trop de bière par exemple, ou prendre trop de vin.»

Disons qu'on a de la difficulté à l'imaginer traînant éméché sur Grande Allée. «J'ai toujours été un garçon très sérieux, convient-il lui-même. Puis j'ai une famille, puis j'ai la même femme depuis 31 ans.»

Louis Garneau, qui a eu 50 ans l'an dernier, voit la récession actuelle comme une occasion d'affaires. «Dans les récessions, la pression est très forte sur les manufacturiers. Il y a des manufacturiers qui vont se dire: on est en récession, on arrête de développer, on arrête de faire de la pub. Moi, au contraire, je me dis, on est en récession, c'est là qu'il faut avoir nos meilleures idées, il faut sortir nos meilleurs produits, il faut faire de la pub. Puis il faut innover.»

Il cite en exemple la récession du début des années 90. Il venait alors d'ouvrir une usine au Vermont. Son chiffre d'affaires de 1,9 million lui avait permis d'emprunter... 1,5 million! «Je ne comprends pas qu'on m'ait laissé faire ce levier-là, j'en ai des frissons», dit-il aujourd'hui.

La nécessité étant mère de l'invention, il se met à chercher un produit qu'il pourrait lancer, pour assurer sa survie. Arrivent les casques de vélo Louis Garneau. «La marge était très importante au début. Un casque qu'on vendait 27$ à l'époque, on le vend aujourd'hui 12$. C'est aussi là qu'on s'est fait connaître mondialement.»

Pour y arriver, il dit avoir acheté tous les casques de la compétition et les avoir défaits. «J'ai regardé comment eux les faisaient et me suis dit: je vais faire mieux qu'eux.»

En fait, quand on parle de récession avec Louis Garneau, on revient à la compétition de vélo. «En cyclisme, je dis ça à mes gars, on n'attaque jamais avec le vent de dos. Attaquez toujours vent de face en haut d'une côte. T'attaques quand c'est difficile. Quand ça va bien, tout le monde fait un peu n'importe quoi. Puis l'argent coule.»

Fabriqué en Chine...

Dans les années 90, il s'est fait critiquer pour avoir transféré une partie de sa production en Chine, comme d'autres l'avaient fait avant lui dans le secteur manufacturier en général et les vêtements en particulier. Il dit même avoir perdu de l'argent parce qu'il a retardé sa décision de transférer une partie du travail de ses couturières. «On était rendus à dessiner des vêtements avec le moins d'accessoires possible, moins de coutures, alors que tout le monde faisait plein de fantaisies. Les gens disaient Garneau, c'est correct, mais pas très sophistiqué.»

Aujourd'hui, les critiques semblent oubliées. Il s'attarde davantage sur les avantages que lui procure la délocalisation d'une partie de sa production. «La Chine nous permet d'aller plus vite, d'engager des gens (ici) qui ont des idées et de les faire faire (en Chine) par des gens extrêmement expérimentés... On tombe dans des usines où ils travaillent pour les meilleures marques cyclistes. Donc, on tombe à un niveau qu'on n'aurait pas pu atteindre, nous, avant cinq ans ou six ans.»

... et au Mexique

Aujourd'hui, de ses 350 employés, il en reste environ 250 au Québec. Il en a quelque 80 autres au Vermont où se fait tout le marketing international «parce qu'on ne trouve pas les personnes qu'on veut avoir» à Saint-Augustin.

Le reste, ce sont des couturières mexicaines, qui cousent les volumes de taille moyenne. Les gros volumes sont bien sûr en Chine, alors que les petits, qui doivent être livrés rapidement ou plus sophistiqués, sont fabriqués dans le parc industriel en bordure de l'autoroute 40.

L'avenir? À entendre Louis Garneau, qui offre encore des leçons de spinning à ses employés, les offres d'achat ne sont pas rares. Mais il ne veut pas vendre. Il veut léguer l'entreprise à ses trois enfants. «J'ai presque obligé mes gars à faire du vélo, de la compétition, pour qu'ils comprennent ce que c'était le vélo. C'est la première étape. Vous ne pouvez pas entrer dans ma business si vous n'avez pas fait de la course, si vous n'avez pas bavé.»

Du même souffle, il dit savoir que, statistiquement, les probabilités d'échec sont de 70% quand une entreprise change de génération. Et de 90% à la troisième génération.

Mais il faut foncer en haut des côtes. Avec un vent de face.

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Ce que Louis Garneau a appris en affaires...

En 2008, le cycliste devenu homme d'affaires a publié un recueil de 333 pensées sur le monde des affaires. En voici quelques extraits qui commencent tous par: En affaires, j'ai appris que...

«...il ne fallait jamais poser la main sur l'épaule de la Reine.»

«...il faut archiver les catalogues et les listes de prix des concurrents.»

«...qu'une bonne secrétaire de président a un certain âge...»

«...on peut réussir même si notre père est fonctionnaire.»

«...l'innovation sans processus, ça ne va nulle part.»

«...souvent, même s'il y a augmentation de personnel, le travail ne se fait pas plus vite.»

«...lorsque ça va mal, il est bon de faire une promenade avec sa conjointe.»

«...plus tu travailles, moins tu penses à faire l'amour à ta conjointe...»

«...la passion est l'instinct de la réussite.»

Source: En affaires, j'ai appris que... Louis Garneau, 2008, 118 pages. Éditeur Louis Garneau Sports inc. Au profit des Petits frères des pauvres.