Dès juin 2005, plus de deux ans avant que n'éclate la tempête des papiers commerciaux, dans lesquels la Caisse de dépôt avait investi 13 milliards de dollars, la Banque du Canada avait sonné l'alarme. Les gestionnaires de la CDP n'ont pas réagi, pas plus que les spécialistes du ministère des Finances.

Critique du Parti québécois en matière de finances, François Legault a cité hier des déclarations qu'a faites le sous-gouverneur de la Banque du Canada devant un comité des Communes il y a quelques jours.

 

Ce furent deux heures bien difficiles, hier, pour la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, qui à son corps défendant avait finalement accepté de témoigner devant la commission parlementaire des finances publiques, chargée de se pencher sur les pertes de 40 milliards de la Caisse de dépôt en 2008. Elle a cédé aux demandes, pressantes a-t-on appris, du cabinet de Jean Charest avec l'assurance que la nouvelle percutante de la nomination de Michael Sabia en après-midi sortirait du radar médiatique son témoignage délicat.

Hier, François Legault a relevé que le haut fonctionnaire fédéral Pierre Duguay avait indiqué que la banque centrale, dans sa Revue du système financier de juin 2005, avait prévenu tous les gestionnaires de la fragilité de ces produits complexes.

Marges de crédit imparfaites

Derrière les PCAA, les marges de crédit étaient «très imparfaites» et plusieurs agences de cotation «ont simplement refusé de coter», a dit M. Duguay. Pour lui, l'avertissement était limpide, mais «finalement c'est la décision des investisseurs qui ont une responsabilité de faire leur devoir». Pour la Banque, il fallait plus d'une évaluation de ces papiers pour bien mesurer les risques. Or la Caisse, comme le ministère des Finances, a acheté ces papiers sur la seule foi de la Dominion Bond Rating Service (DBRS), qui leur donnait un triple A.

«Comment se fait-il que le ministère des Finances n'a pas tenu compte de l'avis de la Banque du Canada?» a demandé le député péquiste.

Réplique acerbe de Monique Jérôme-Forget: en 1997, à la barre des Finances, Bernard Landry avait fait amender la loi de la Caisse pour lui permettre, notamment d'acheter ces nouveaux et complexes produits financiers. «Le père des papiers commerciaux, c'est Bernard Landry», a-t-elle lancé dans un témoignage où elle a souvent paru impatiente.

Elle s'est emportée quand, à un moment, le président de la commission, Alain Paquet, ne lui a donné que 15 secondes pour répondre. Elle a été piquée au vif quand le député adéquiste François Bonnardel lui a demandé si elle présentait ses excuses aux contribuables pour les rendements de la CDPQ. «On n'est pas dans les enfantillages, ici», a-t-elle lancé, irritée. «Si c'était son argent, elle s'en serait plus occupée», a répliqué plus tard M. Bonnardel, qui estime que la ministre a manqué totalement de vigilance lors de la crise de l'automne 2008.

D'entrée de jeu, elle a prévenu qu'elle répéterait souvent que les questions devraient être adressées aux anciens dirigeants de la Caisse, qui comparaîtront en avril. Elle a tenu parole et répété bien des fois: «Attendez d'entendre M. (Fernand) Perrault. Attendez d'entendre M. (Henri-Paul) Rousseau...»

Gestion du FARR

Changeant l'angle d'attaque, l'opposition péquiste a réclamé à la ministre des Finances des comptes sur la gestion du Fonds d'amortissement des régimes de retraite, le FARR, dont le Ministère est un déposant et dont, par conséquent, il est informé mensuellement des résultats. Même si les choix de placements, pour ces 31 milliards, dépendaient de ses fonctionnaires - un rendement de moins 25,58%, environ 10 points de moins que les autres caisses de retraite au pays -, la ministre a soutenu que son ministère «avait su tirer son épingle du jeu».

François Legault, de son côté, n'a pas manqué de rappeler qu'en novembre 2007, Henri-Paul Rousseau était venu faire la leçon aux élus en commission parlementaire. Il avait soutenu qu'il n'avait pas d'inquiétudes sur les PCAA, à l'exception de 500 millions de mauvaises créances. Un an plus tard, la CDPQ a dû inscrire presque 6 milliards de provisions pour perte sur les 13 milliards de papiers qu'elle détenait.

En commission parlementaire, Mme Jérôme-Forget a reconnu que les pertes de 40 milliards dans les placements de la Caisse de dépôt auraient un impact sur les cotisants aux régimes de retraite, les automobilistes et les retraités de l'État. Plus tard, elle a parlé de «conséquences minimes» puisque les fluctuations boursières de l'automne 2008 seront pondérées sur une période de 15 ans.

«L'impact va se faire sentir, mais l'important c'est de regarder l'impact sur le long terme» a-t-elle souligné en écartant la possibilité qu'il y ait des hausses de cotisations cette année ou l'an prochain.

Pour François Legault, ces déclarations de la ministre sont totalement irréalistes, car les pertes de la Caisse signifient un recul de 10 000$ pour chaque cotisant, explique-t-il.

Monique Jérôme-Forget s'est dite «très déçue» des résultats de la Caisse - de loin les pires de tous les grands fonds canadiens en 2008. Elle a même soutenu que le fonds ontarien Omer devait sa meilleure performance dans le portefeuille immobilier à des méthodes comptables différentes de celles de la Caisse - les Ontariens ont gagné 6% dans l'immobilier alors que la Caisse, elle, a perdu plus de 20%.

Pour M. Legault, la ministre a «totalement manqué de leadership» durant toute la crise boursière. Elle maintient qu'elle ne s'est pas informée des résultats de la CDPQ régulièrement cet automne alors que les marchés plongeaient.

Elle affirme que ce n'est qu'au retour des élections du 8 décembre que ses fonctionnaires l'ont informée des pertes appréhendées, de 18% à ce moment.