Le chiffre avait beau être connu, il a quand même frappé tout le monde une fois devenu officiel. La perte record de 39,8 milliards de dollars de la Caisse de dépôt en 2008 s'explique en partie par la déconfiture des marchés, mais surtout par des erreurs qui auraient pu être évitées, selon les acteurs du secteur financier interrogés hier.

L'investissement massif dans le papier commercial à haut risque est la principale erreur de la Caisse de dépôt, même sa direction l'a reconnu hier. Et «c'est la conséquence d'avoir mis tous ses oeufs dans le même panier», estime Léon Courville, économiste et ancien président de la Banque Nationale.

 

Selon lui, une catastrophe d'une telle ampleur a pu se produire parce que l'épargne de tous les Québécois est canalisée dans une seule caisse, gérée par un seul conseil d'administration, sous l'autorité d'une seule personne, son président.

«Le gouvernement dit qu'il ne veut pas s'ingérer dans les affaires de la Caisse, alors qui s'en occupe?» demande Léon Courville.

Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, est d'accord avec Léon Courville sur ce point. La Caisse de dépôt est un one man show.

M. Béland sait de quoi il parle pour avoir passé 13 ans au conseil d'administration de la Caisse. Il a servi sous Jean Campeau, sous le tandem Guy Savard et Jean-Claude Delorme et sous Jean-Claude Scraire. «On a personnalisé la Caisse de dépôt», dit-il, en constatant que c'était particulièrement vrai sous Henri-Paul Rousseau, un gestionnaire imposant dans tous les sens du terme.

M. Rousseau doit porter la responsabilité de l'implication de la Caisse dans le papier commercial, selon lui. «C'était son style. Il connaissait les nouveaux produits financiers et voulait jouer dans la modernité.»

Comme administrateur de la Caisse, Claude Béland a souvent été frustré par le pouvoir du président. Il croit que le conseil actuel vit les mêmes frustrations et qu'une partie de la solution aux problèmes de la Caisse doit venir de l'amélioration des règles de gouvernance.

Scinder la Caisse en deux ou trois entités serait une façon d'améliorer sa gouvernance, croit Léon Courville. Les déposants devraient être libres de confier leur argent à l'une ou l'autre de ces entités, ce qui introduirait une concurrence profitable pour tout le monde, selon lui.

Des explications S.V.P.

Aux yeux d'Yves Michaud, les explications données hier par la direction de la Caisse pour expliquer le désastre du papier commercial sont nettement insuffisantes. Il estime également que ses dirigeants sont «un peu beaucoup jovialistes» quand ils affirment pouvoir récupérer une grande partie de leurs investissements de 13 milliards dans ces titres toxiques.

Celui qui a été surnommé le Robin des banques croit aussi que cette perte de 39,8 milliards aura des conséquences graves pour tout le monde, même si tout le monde hier, du premier ministre Jean Charest à la Régie des rentes, en passant par la CSST, s'est employé à le nier. «Il y a parfois des lendemains qui chantent, mais là, il va y avoir des lendemains qui vont pleurer.»

Yves Michaud croit que le gouvernement devrait imposer des limites aux investissements de la Caisse dans les différentes catégories d'actif, comme c'était le cas à ses débuts, pour limiter les risques.

Michel Nadeau, qui été le numéro 2 de la Caisse sous le règne de Jean-Claude Scraire, n'est pas d'accord. «La Caisse doit apprendre de ses erreurs», estime-t-il, et non se faire imposer des contraintes d'investissement.

Cela dit, Michel Nadeau estime que 2008 a été «une année désastreuse» pour la Caisse, qui a accumulé les erreurs, les malchances et les sous-performances. Il se dit particulièrement déçu de la performance des gestionnaires de la Caisse dans le portefeuille d'obligations.

Contrairement au Parti québécois, à l'ADQ et à plusieurs autres observateurs, Michel Nadeau ne croit pas que le mandat de la Caisse de dépôt, qui a été précisé en 2004, soit responsable du désastre.

C'est aussi l'avis de Marcelin Joanis, professeur à l'Université de Sherbrooke et chercheur au Cirano. «Ce n'est pas le mandat qui pose problème, mais la compréhension de ce mandat doit être éclaircie», estime-t-il.

La Caisse a pris «une bonne débarque» en 2008, parce qu'elle a pris trop de risques, notamment avec le papier commercial. La protection du capital des déposants devrait toujours passer avant le rendement, estime le professeur.

Claude Béland est d'accord. «Mais il faudrait qu'on ne chicane pas la Caisse toutes les fois qu'elle paraît moins bien parmi tous les cowboys qui sont sur le marché.»