Le nouvel organisme à but non lucratif (OBNL) qui deviendra propriétaire de La Presse sera indépendant de Power Corporation, a assuré mercredi le président et co-chef de la direction du conglomérat, André Desmarais. Il a néanmoins affirmé qu'il «espère» que le quotidien continuera de défendre l'unité canadienne dans ses pages éditoriales.

M. Desmarais a témoigné en commission parlementaire, mercredi, pour convaincre les élus d'appuyer le projet de loi qui permettrait au quotidien de changer de statut.

Il a assuré que sa famille se départit de La Presse à regret. Mais il s'est dit convaincu que c'est la meilleure manière d'en assurer la viabilité.

«C'est un héritage de mon père et il est certain que de voir cette institution quitter notre entreprise nous fait un pincement au coeur, a déclaré M. Desmarais. Cependant, dans le nouveau contexte du marché, il est difficile pour la société privée de soutenir seule une grande organisation de nouvelles telle que La Presse

«J'ai ainsi la conviction que le transfert de La Presse dans une structure à but non lucratif est dans le meilleur intérêt du journal et de ceux qui le font, les travailleurs, et de ceux qui le lisent», a-t-il ajouté.

M. Desmarais a souligné que deux géants américains, Google et Facebook, accaparent désormais la majorité des revenus de publicité, longtemps à la base du modèle d'affaires des médias.

Devant l'impasse, Power Corporation souhaite céder La Presse à un OBNL et allonger 50 millions pour assurer sa viabilité. Le conglomérat se portera aussi garant des obligations passées du régime de retraite des employés du quotidien.

La direction espère que la nouvelle structure corporative permettra de recueillir des dons et d'obtenir de nouvelles formes d'aide gouvernementale.

Ligne éditoriale

Questionné par le député péquiste Pascal Bérubé, M. Desmarais a affirmé que Power Corporation n'aura aucun mot à dire dans le choix du conseil d'administration du futur organisme. Cette responsabilité relèvera de la direction de La Presse.

Quant à la ligne éditoriale du quotidien, M. Desmarais a dit souhaiter qu'elle demeure favorable à l'unité canadienne et qu'elle s'oppose à l'élection d'un «parti séparatiste», selon ses mots.

Il s'agit toutefois d'un souhait et non d'une demande formelle, a-t-il précisé. Le montant de 50 millions que Power Corporation versera pour assurer la survie du quotidien «n'a pas d'attache», a dit M. Desmarais.

«Je n'ai pas fait de demande, a-t-il dit. Mais est-ce que c'est un souhait? Oui. Moi je souhaite que La Presse garde sa mission et qu'elle continue à être ce qu'elle est parce que je trouve que La Presse offre un balan de la société qui est magnifique. Elle l'a toujours fait et, à l'intérieur, je trouve qu'il y a beaucoup de pages qui permettent aux gens de s'exprimer.»

La commission parlementaire se penche mercredi sur le projet de loi 400, qui abolirait une loi privée datant de 1967 par laquelle le gouvernement doit approuver le changement de propriété de La Presse. Comme cette pièce législative a été déposée en fin de session parlementaire, tous les élus doivent consentir à la tenue d'un vote.

«Affront à la démocratie»

Bien que M. Bérubé ait posé plusieurs questions pointues à la direction de La Presse et à M. Desmarais, le député du Parti québécois a confirmé en matinée qu'il ne n'empêchera pas l'Assemblée nationale de se prononcer sur le projet de loi.

Ce n'est toutefois pas le cas de la députée indépendante Martine Ouellet, qui a exprimé de vives réticences face à la transaction. À plusieurs reprises, elle a dit ne pas voir d'urgence à légiférer pour autoriser le changement de propriété du quotidien.

Elle a réitéré ses objections dans un échange avec M. Desmarais.

«Vous venez ici à l'Assemblée nationale pour nous demander des autorisations et vous allez venir dans un deuxième temps pour venir chercher de l'argent des contribuables, du gouvernement, a-t-elle dit. Vous présenter une indépendance qui est importante qu'elle soit présentée entre le gouvernement et La Presse. Mais ça prendrait une indépendance aussi de Power Corporation et de La Presse, ce qu'on ne constate pas actuellement.»

Au terme de sa présentation en commission parlementaire, le vice-président du conseil de La Presse, Guy Crevier, a affirmé qu'un député qui ferait dérailler la transformation du quotidien porterait un «lourde responsabilité».

«Je ne comprendrais pas quelqu'un qui bloquerait absolument une transformation comme ça, a dit M. Crevier. Je pense que ce serait grave. Je pense que ce serait un affront majeur à la démocratie parce que La Presse joue un rôle important dans la démocratie.»

Le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a défendu le changement de statut du quotidien. Dans sa présentation aux élus, il a fait valoir qu'un «front commun» formé par l'entreprise, les syndicats qui représentent ses employés et les principales centrales syndicales en faveur du projet de loi.

«Nous faisons alliance, aujourd'hui, derrière le projet de transformation de La Presse car nous sommes tous convaincus que la structure à but non-lucratif vers laquelle La Presse se dirige est LA structure d'avenir qui donne le plus de chances à La Presse d'assurer la pérennité de sa mission, soit de livrer une information de qualité, rigoureuse, basée sur les faits», a déclaré M. Levasseur.

Les syndicats qui représentent les travailleurs de La Presse témoignent à leur tour en commission parlementaire, mercredi après-midi, pour appuyer le changement de statut.

La présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), Pascale St-Onge, a lancé un avertissement aux parlementaires: «Empêcher la transformation de La Presse, c'est une atteinte à la liberté de presse.»

«On n'est pas ici pour débattre d'un programme de financement, on est ici pour demander l'annulation d'une loi qui empêche La Presse de se transformer», a-t-elle martelé à la sortie de la première partie des auditions publiques.

«Ce qu'on trouve dangereux, c'est que l'Assemblée nationale se prononce ou tente d'influencer la ligne éditoriale ou le contenu journalistique d'un média. Qu'on soit d'accord ou non avec la ligne éditoriale, ce n'est pas à des députés ou au pouvoir politique d'influencer ça», a poursuivi Mme St-Onge.