Les entreprises tardent à s'adapter à l'ère numérique, selon des experts.

Accès et formation insuffisants, réglementation désuète, paysage médiatique chamboulé : les défis pour les entreprises qui doivent s'adapter à l'ère numérique sont nombreux. Devant un auditoire de quelque 400 personnes, quatre experts ont proposé quelques solutions. Au menu : « coopétition », accès à la technologie, information reconnue comme un bien public et « intelligence augmentée ».

LE JOURNAL PAPIER, « UN MODÈLE BRISÉ »

Pour Guy Crevier, vice-président du conseil et éditeur de La Presse et un des quatre invités du débat, l'abandon du format papier était incontournable, avec la baisse et le vieillissement du lectorat et des revenus à la baisse. « Le modèle d'affaires des journaux papier était brisé : la moyenne d'âge était de 60 ans, alors que les budgets publicitaires visent les personnes entre 25 et 54 ans », a-t-il déclaré lors de l'événement organisé par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), en association avec Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ).

Le rôle même des médias a considérablement changé dans une société où l'information n'a jamais été aussi disponible, mais où les revenus des médias sont avalés par des géants comme Facebook et Google. « Traditionnellement, l'information a toujours été aux mains de riches : on paie un abonnement [...]. Aujourd'hui, il y a une réflexion importante que les gouvernements doivent tenir sur le rôle des médias d'information, sur l'accès de la population à une information de qualité, sur le phénomène des fake news. [...] Maintenant, ce modèle-là suppose que l'information devienne un bien public : elle n'est plus un bien privé. »

UNE COMPÉTITION FAVORABLE

Elizabeth Stefanka, présidente et fondatrice de la plateforme du même nom, en connaît un bout sur le fait d'affronter des multinationales. Sa petite entreprise, dont le slogan est de « réinventer la vente au détail », joue dans les platebandes d'Amazon et propose un outil unique : un logiciel de 3D capable de prendre les mesures exactes de l'acheteur pour la confection de vêtements sur mesure.

« L'élément distinctif, c'est qu'on est une petite entreprise. Une de nos faiblesses devient une de nos forces, on a une approche hyperréactive pour la réduction des coûts. » Quand son équipe a appris qu'Amazon s'apprêtait à sortir un produit sur lequel planchait déjà Stefanka, la réaction était très loin de la panique. « Je ne fais pas compétition à Amazon : ça va devenir de la "coopétition", où ils vont pouvoir communiquer et éduquer le commerce du vêtement. [...] On devient une solution très rapide et agile pour intégrer les solutions de transformation numérique dans une industrie du commerce de détail qui est brisée, également. »

RÉGLEMENTATION EN RETARD

Les entreprises ne sont pas seules à avoir de la difficulté à s'adapter aux changements numériques : les gouvernements « ne sont pas prêts », a souligné François Bouffard, directeur, affaires mondiales - Canada, chez Dassault Systèmes.

« Souvent, la réglementation t'arrive et elle ralentit énormément le développement technologique. Regardez par exemple la voiture autonome : les gouvernements ne devraient pas faire ça petite province par petite province, mais de façon globale. »

Pour Guy Crevier, le constat est le même dans le domaine culturel, où il juge la réglementation « désuète » et les lois entourant la propriété intellectuelle particulièrement inadaptées. « Le Québec veut taxer Netflix mais il est le seul au Canada. Il va falloir que les pays se mettent ensemble et trouvent des solutions ensemble. »

ACCÈS DIGNE DU XXIe SIÈCLE

Loin des grandes stratégies, l'éditeur de La Presse estime qu'« il faut revenir à la base » pour s'adapter à l'ère numérique : offrir un accès à l'internet haute vitesse en région. « Je pense aux enfants à l'école... Il faut régler ça rapidement, faire en sorte que les gens y aient accès, que tout le monde ait les outils. On a la chance de voir ce qui se passe aux États-Unis : la société est en train d'éclater. Il faut qu'on se réveille. »

M. Bouffard a constaté de près cet « écart » quand il a appris que ses petits-enfants n'avaient pas d'ordinateurs à l'école. « Le gros défi, c'est l'éducation, la formation par rapport à la technologie. » C'est dans cet esprit qu'il affirme se méfier de l'expression « intelligence artificielle », lui préférant celle d'« intelligence augmentée ». « On n'est pas dans la quatrième révolution, mais dans la renaissance industrielle, estime-t-il. L'intelligence augmentée ne remplacera pas mon intelligence, mais ça va me rendre plus smart, plus intelligent. »