Un débat controversé entourant le Super Bowl se poursuit depuis quelques jours au Canada. Et non, ce débat n'implique pas Pete Carroll, l'entraîneur-chef des Seahawks de Seattle dont la décision en fin de match d'opter pour une passe à la ligne d'une verge a coûté la victoire à son équipe.

Ce débat réglementaire oppose plutôt Bell, détenteur des droits de diffusion du Super Bowl jusqu'en 2020, au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui a décidé jeudi dernier de permettre la diffusion des publicités américaines du Super Bowl au Canada à partir de février 2017. Pour Bell, cette décision est lourde de conséquences: l'entreprise pourrait perdre, dans le pire des scénarios, jusqu'à 70 millions de dollars sur quatre ans, selon nos calculs.

Jusqu'à 17,5 millions de pertes

Actuellement, la règle de la substitution simultanée empêche les Canadiens de voir les publicités américaines du Super Bowl sur le réseau américain (ex.: Fox en 2017), ces publicités étant remplacées par celles du réseau canadien CTV. Quand la substitution simultanée sera interdite au Super Bowl à partir de février 2017, les cotes d'écoute - et, du même coup, les revenus publicitaires - de Bell Média risquent de chuter. Bell Média avait négocié ses droits de diffusion avec la NFL en pensant qu'elle pourrait compter sur la substitution simultanée.

Dimanche dernier, une publicité de 30 secondes coûtait environ 165 000$ à CTV et 10 000$ à RDS. Il y a environ 50 minutes de publicités durant le match. Selon nos calculs, CTV peut donc espérer des revenus jusqu'à 16,5 millions pour la durée du match et RDS, 1 million. Advenant le scénario (exagéré, mais tout de même) où tout l'auditoire de CTV et RDS regarderait le match à la télé américaine (ex.: Fox en 2017), Bell Média perdrait 17,5 millions par Super Bowl. En vertu de son entente actuelle, Bell Média détiendrait les droits du Super Bowl jusqu'au février 2020, ce qui signifie que ses pertes pourraient être au maximum de 70 millions de dollars sur quatre ans, advenant le scénario le plus pessimiste. L'entreprise n'a pas voulu commenter ces chiffres hier.

Bell trouve toutefois «regrettable» la décision du CRTC et demande à l'organisme réglementaire «de faire face de façon réaliste aux effets que cette décision aura sur l'ensemble de l'industrie des communications», a indiqué Olivier Racette, porte-parole de Bell Média, par courriel.

Dans sa décision annoncée jeudi dernier, le CRTC notait que l'absence des publicités américaines du Super Bowl au petit écran canadien était l'un des sujets qui entraînaient chaque année le plus de plaintes. «Nous sommes persuadés que les créateurs publicitaires canadiens sauront relever le défi et créer des publicités qui feront concurrence aux publicités américaines», dit Denis Carmel, porte-parole du CRTC.

Un débat sur la forme

En plus des questions de fond, le débat s'est poursuivi sur la forme. Dimanche, Bell a écrit aux conseillers du CRTC afin de leur demander une rencontre pour faire valoir ses arguments - et éventuellement de changer la décision, qui a été annoncée mais qui n'est pas encore en vigueur.

Le Conseil n'a pas apprécié cette initiative des dirigeants de Bell. «Nous jugeons que c'était inapproprié. Notre décision a été rendue, mais le processus réglementaire n'est pas terminé, nous allons avoir des étapes ultérieures qui définiront la mise en oeuvre de la décision», souligne le porte-parole Denis Carmel.

Bell Média se défend d'avoir mal agi, faisant valoir qu'il y a eu 43 rencontres l'an dernier entre des conseillers du CRTC et des représentants de l'industrie malgré la tenue d'audiences publiques. «Nous voulons que le CRTC fasse face aux impacts de ses décisions, a indiqué Olivier Racette, porte-parole de Bell Média, par courriel. Notre crainte est que le CRTC ne comprenne pas l'impact que la substitution des signaux a sur les Canadiens et sur notre industrie.» Au cours du dernier Super Bowl dimanche, 9 des 61 publicités américaines ont aussi été diffusées en direct à CTV parce que les annonceurs avaient acheté du temps d'antenne au Canada.

Bell n'a pas indiqué hier si elle comptait contester la décision du CRTC en Cour fédérale d'appel.