Nouvel eldorado des publicitaires, les mégadonnées ou Big Data permettent d'analyser les comportements des consommateurs pour offrir des publicités sur mesure et plus efficaces. Mais les consommateurs voient avec suspicion la captation de leurs données personnelles, souhaitant plus de protection.

La Big Data, l'analyse de données informatiques à très grande échelle grâce à des outils spécialisés, «est un enjeu majeur pour la pub et le marketing» chiffré en dizaines de milliards d'euros dans les 2 ou 3 prochaines décennies, souligne Reda Gomery, associé responsable data et analytics chez le cabinet Deloitte.

«Cela transpose ce secteur dans un monde nouveau avec des pubs beaucoup plus adaptées à des cibles et nous fait sortir (de l'ère) des publicités de masse», s'enthousiasme-t-il.

«Pour un publicitaire le digital c'est le Graal» et la Big Data est «essentielle pour l'avenir», résumait en septembre Maurice Lévy, le PDG de Publicis, qui multiplie les acquisitions pour se renforcer dans le numérique.

Aujourd'hui les données sont partout: dès que l'on surfe sur internet on laisse des traces, des cookies captent le moindre clic des internautes, les réseaux sociaux absorbent les infos qu'ils y laissent volontairement, tandis que les téléphones intelligents permettent aux opérateurs de savoir où se trouvent leurs clients. Mais encore faut-il faire parler ces masses de données.

La start-up Quinten aide ainsi ses sociétés clientes à s'y retrouver dans la jungle des données disponibles.

«Notre algorithme Q-finder permet d'identifier, par exemple au sein d'une base de données de consommateurs réguliers de dentifrice, les sous-groupes qui adorent et achètent une certaine marque de dentifrice ainsi que les caractéristiques de chaque sous-groupe», explique Guillaume Bourdon, co-fondateur de Quinten.

Établir des règles d'éthique

L'annonceur peut ainsi affiner sa communication en offrant le bon produit au bon moment via le support le plus approprié.

Les paiements sont aussi une mine d'informations. «On peut déterminer par ces transactions traitées de façon anonyme les comportements d'achat dans une rue, un quartier, une ville, une région», souligne Reda Gomery.

Ces techniques permettent «de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par exemple aux Champs Elysées par rapport aux porteurs de carte d'une banque donnée» et d'adapter une stratégie marketing sur cette avenue, souligne-t-il.

Cette évolution peut néanmoins «faire peur aux consommateurs», concède Guillaume Bourdon.

93 % des internautes français sont conscients de la captation de leurs données personnelles, et 84 % se disent inquiets de l'usage qui peut en être fait, selon une étude Toluna pour Havas Media.

Même si près de la moitié de ces internautes seraient prêts à accepter le suivi de leurs données numériques moyennant des contreparties.

Les spécialistes de la data travaillent plus sur de grandes masses de données anonymisées ou des flux que sur des données attachées à un individu mais ils ont conscience du risque énorme pour leur réputation si une faille de sécurité se produisait.

C'est au niveau européen que vont se décider les futures règles du jeu dans ce domaine avec un nouveau réglement sur les données personnelles attendu pour 2015 qui fait l'objet d'un intense lobbying.

L'enjeu est une remise à plat du paysage européen des réglementations des données, pour l'unifier, et contraindre tous les acteurs du numérique à appliquer ce droit dès lors qu'ils proposent un service à un consommateur européen.

«L'entreprise comme le citoyen devra adopter un comportement "dataresponsable". L'idée consistera à établir des règles d'éthique entre sociétés et consommateurs», prévoit Guillaume Bourdon.

«Il y aura un marché: qu'est-ce que j'accepte de donner comme données confidentielles, qu'est-ce que je vous autorise à utiliser et qu'est-ce que je n'accepte pas», détaille-t-il.

Certains voient d'un mauvais oeil ces nouvelles règles craignant qu'elles n'handicapent le développement du numérique en Europe, et n'accentuent son retard face aux Google, Facebook et autres acteurs issus des États-Unis où le niveau de régulation est bien plus bas.

Pour Isabelle Jegouzo, numéro deux du secrétariat général aux Affaires européennes, qui défend les positions françaises dans les négociations communautaires, «il faut trouver le bon équilibre entre le niveau de protection des individus et la marge laissée à l'industrie pour se développer».