Notre journaliste a passé un an à l'Université Harvard grâce à une bourse de la fondation Nieman. Toutes les semaines jusqu'au 23 août, elle nous présente un chercheur aux idées novatrices. Aujourd'hui, Anita Elberse, experte du marketing qui prédit l'ascension grandissante des superproductions.

Elle court les tapis rouges d'Hollywood. Elle est invitée dans les réceptions ultrasélectes de New York. Elle est bonne copine avec le légendaire entraîneur de soccer britannique Sir Alex Ferguson. Le jour de l'entrevue, elle a reçu en cadeau deux billets pour la demi-finale de la Coupe du monde.

Pour une professeure d'université, Anita Elberse a une vie plus que glamour. «Ça fait partie du boulot», dit modestement l'étoile montante de la célèbre Harvard Business School.

Et c'est justement ce que l'universitaire étudie: la confection des étoiles et des grands succès dans l'industrie du show-business. «Harvard me permet de rencontrer les gens d'affaires qui sont dans le domaine et de comprendre leur modus operandi», explique la jeune professeure originaire des Pays-Bas. «L'industrie de la création est le plus grand produit d'exportation des États-Unis», ajoute-t-elle.

Dans son plus récent livre, Blockbusters, la nouvelle gourou du marketing décortique les industries dites créatives, que ce soit celles de la musique, du cinéma, de la littérature, de la télévision, des médias ou encore du sport. Elle explique que pour avoir du succès, les entreprises de ce domaine ont tout intérêt à miser gros sur quelques mégaprojets qui risquent de se transformer en superproductions et rapporter le magot plutôt que de miser sur une variété de petits projets - et ce, même si les gros paris sont parfois perdants.

Miser gros pour gagner gros

C'est ainsi qu'elle explique les succès répétés de Warner Bros, qui a investi des sommes faramineuses (lire des centaines de millions) dans des projets comme Harry Potter et Batman (The Dark Knight), engrangeant des profits records, tout en essuyant des résultats décevants pour d'autres films, dont La Lanterne Verte. Inversement, la même théorie justifie les échecs de la chaîne NBC sous la gouverne de Jeff Zucker, qui a décidé de réduire les frais de production au minimum pour rendre l'entreprise rentable, mais qui a vu ses résultats financiers dégringoler.

Et partout où elle a regardé, Anita Elberse a vu le même phénomène se répéter: les entreprises qui jouent gros sont immanquablement récompensées par de gros profits.

La stratégie de la superproduction est là pour rester, soutient Anita Elberse, qui note que l'avènement du numérique, loin de nuire aux mégaproductions, leur permet d'avoir encore plus de succès. «La plupart des consommateurs ont de la difficulté à comprendre le phénomène. Ils pensent que ça ne prend qu'une super chanson pour percer et que l'internet est devenu le grand égalisateur. Mais il y a tellement de voix qui veulent se faire entendre, c'est difficile de se démarquer. Cependant, si YouTube décide de faire votre promotion, là, vous devenez une vedette», affirme-t-elle. Elle note que les artistes associés aux grandes maisons de disque décuplent leur chance de réussir. Elle cite l'exemple de Lady Gaga, une vedette que plusieurs croient sortie de nulle part, propulsée par la seule force de son talent et de son excentricité. «Il y a une grande compagnie de disque derrière elle et un agent. Lady Gaga est un grand succès de Troy Carter, son ex-gérant», estime-t-elle.

Dans un contexte d'ascension des mégaproductions produites à coups de centaines de millions de dollars, comment les plus petites cultures, comme celle du Québec, peuvent-elles leur faire concurrence? «En trouvant leur propre spécialité. Si les Pays-Bas voulaient devenir demain le nouveau Hollywood, ce serait un échec total. Mais les Pays-Bas ont beaucoup de succès avec leurs DJ sur la scène mondiale», donne-t-elle en guise d'exemple. Le succès du Cirque du Soleil s'inscrit dans la même stratégie pour le Québec.

Anita Elberse croit aussi que les producteurs de contenu des plus petits pays ne doivent pas hésiter à épouser la stratégie de la superproduction. «Si une compagnie a 50 millions par année pour faire des films, elle s'en sortira mieux si elle produit deux films de 25 millions plutôt que 10 films de 5 millions. Oui, ça veut dire moins de diversité, mais c'est la clé pour construire une entreprise qui peut survivre à long terme et qui va continuer de produire du contenu.»