Les membres des Rolling Stones n'ont pas toujours géré d'une main de fer leur carrière. Ses études à la London School of Economics, dans une autre vie, n'ont pas préservé Mick Jagger des agents et promoteurs véreux. Et les succès n'ont pas garanti aux Stones de se remplir les poches facilement.

Aujourd'hui, la fortune de Mick Jagger serait de 300 millions de dollars. Et le groupe a généré des ventes de 2 milliards depuis 1989. Mais ses membres ont déjà vécu en simples représentants de la classe moyenne même s'ils vendaient des tonnes d'albums (200 millions en carrière) et de billets de spectacle.

C'est que dans les années 60 et 70, les Stones pouvaient recevoir leurs cachets en fin de prestation, jusqu'à des dizaines de milliers de dollars, dans des sacs bruns! À l'époque, s'ils avaient une image de marque bien établie, leur contrat de disques (avec Decca Records) relevait d'un agent à la main aussi ferme que gourmande nommé Allen Klein, qui gérait les revenus du groupe loin des yeux de ses membres et qui a réussi à mettre la main sur une partie de leur catalogue.

Comment ont-ils fini par récolter l'argent qui leur était dû? Jusqu'à tout récemment, les opérations financières du groupe restaient en partie secrètes. «Jagger est très dur en affaires, raconte André Ménard, cofondateur et vice-président de Spectra. Jusqu'en 1998, Ronnie Wood était employé des Stones. Après une entrevue où il en a un peu trop dit sur les finances du groupe, Mick Jagger lui a lancé: la prochaine fois que tu t'ouvres la boîte, tu es out!»

Dernièrement, le chanteur a publiquement fait savoir qu'il était irrité par les propos de Rupert Loewenstein, son conseiller financier durant 40 ans. Dans une biographie (A Prince Among Stones), Loewenstein dévoile les stratégies employées pour métamorphoser les Stones de rockers au portefeuille presque à sec dans les années 60 en machine à générer des milliards quelques décennies plus tard. Réaction de Jagger, en février dernier, au journal The Mail: «Dites que je suis vieux jeu, mais je ne crois pas que votre ex-conseiller financier devrait discuter de vos affaires et révéler des informations personnelles publiquement.»

Pourtant, les Stones doivent tout au plan financier de Loewenstein. «Ils étaient totalement à la merci de Klein, raconte celui-ci dans A Prince Among Stones. Après avoir passé en revue quelques documents, je me suis rendu compte que les Stones ne recevaient pas d'argent. C'est Klein qui récoltait et ils dépendaient de lui pour en recevoir.»

«Arnaques et magouilles»

«C'est seulement dans les années 80 que les Stones ont commencé à gagner de l'argent avec leurs tournées, dit Keith Richards dans sa biographie Life, parue en 2010. Celles de 1981 et 1982 avaient marqué le début des superconcerts dans des stades et des records de ventes au box-office. [...] La période avait aussi été assez louche, avec plein de points d'interrogation, des résultats toujours en dessous de ce qu'ils auraient dû être. Il fallait qu'on reprenne la main sur nos prestations en public. Rupert avait réorganisé nos finances de sorte qu'on n'était plus grugé de 80% des revenus, ce qui était sympa. Avant, quand les Stones vendaient un billet à 50$, ils en touchaient... 3! Rupert a mis en place un réseau de commanditaires, il s'est battu pour récupérer des contrats de marchandisage qui nous avaient échappés. Il a mis fin aux arnaques et magouilles diverses qui nous saignaient à blanc. Il nous a rendus financièrement viables.»

Avec Loewenstein, les Stones ont traîné Allen Klein en cour. Ils ont aussi évité les taux d'imposition faramineux de la Grande-Bretagne... grâce à un déménagement dans le Sud de la France. Ils ont produit leurs albums pour leur propre maison de disques (Rolling Stones Records). «Avec Allen Klein, les Rolling Stones étaient le groupe le mieux payé sur papier pour des contrats de disques, relate Sylvain Ménard, animateur radio et spécialiste musical. À une époque, ils avaient le meilleur contrat de disques de l'industrie. Mais ABKCO, l'entreprise de Klein, a détenu une part importante de toutes les activités des Stones. Comme Jagger a été exposé à ça, il est devenu quelqu'un qui ne s'en fait plus passer!»

Grâce à ses études en économie? «Généralement, peu importe le niveau d'éducation, on peut bien ou mal gérer ses revenus, répond Richard Tullo, directeur de recherche de la firme Albert Fried. Adele, par exemple, fait du très bon travail à ce niveau. Comme Paul McCartney, Mick Jagger a investi dans d'autres talents autant que le sien. Ils prennent des décisions éclairées. Michael Rapino, PDG du promoteur Live Nation, a déjà dit: les rock stars vivent comme des stars, mais avoir des notions économiques les aide. Et ce qui aide également les Stones, c'est la mondialisation. Ils jouent aujourd'hui dans des arénas et théâtres où on n'allait pas auparavant, comme en Chine, à Singapour et en Israël.»

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Pour que la machine continue

A Bigger Bang Tour, l'avant-dernière tournée (2005 à 2007) des Rolling Stones, se qualifie au deuxième rang au tableau des tournées musicales les plus lucratives de l'histoire... pour emprunter le langage de la F1, en ce week-end de Grand Prix. Avec 558,3 millions de revenus aux guichets, les Stones roulent sur l'or. Mick Jagger, Keith Richards, Ronnie Wood et Charlie Watts ne peuvent envier à ce chapitre que les membres de U2 dont la tournée 360° a engrangé 736,4 millions de 2009 à 2011!

Cette fois, avec la tournée 50 and Counting, qui s'arrête demain au Centre Bell, ce n'est pas tant les revenus possibles aux guichets que le prix des billets qui bat des records. On rappelle que pour mettre des bâtons dans les roues des revendeurs de billets, les Stones et leur promoteur AEG se sont entendus pour fixer à 635$ le coût de milliers de sièges. «Même si le groupe est une machine très bien huilée, il prend de gros risques, estime Sylvain Ménard, animateur radio et spécialiste musical. À 635$ le siège, il a rencontré ses limites. Mais c'est la première action anti-scalping efficace.»

«C'est plutôt étrange comme approche, ajoute à La Presse Affaires Gary Bongiovanni, éditeur du magazine spécialisé Pollstar. Ça fonctionne, mais sur le plan de l'image, ce n'est pas la meilleure campagne de relations publiques!»

Prix moyen: 350$

Surtout que le prix stratosphérique de plusieurs billets aurait été revu à la baisse, au bout du compte. «Les Rolling Stones généreront 86 millions de dollars, si on se fie à leurs sept premiers spectacles de tournée qui ont engrangé 33,7 millions de dollars aux guichets, explique Gary Bongiovanni. Le prix moyen des billets est de 350$. Ce qui est plus du double qu'en 2005. Les concerts affichent généralement complet, mais le prix de bien des billets a été réduit.»

Pas pire néanmoins pour les rockers de 70 ans qui pourraient être à la retraite. Un bel extra, ces 86 millions? «Les Rolling Stones font d'abord la tournée pour l'argent, note Gary Bongiovanni. Ils ont 70 ans et ne font pas beaucoup de spectacles [18]. On espère qu'ils n'ont pas besoin d'argent, qu'ils ont fait de bons placements au fil des ans et qu'ils font des spectacles juste par plaisir, mais ce n'est pas tout le temps le cas.»

«Aujourd'hui, partir en tournée est la seule façon de faire de l'argent, mentionne Richard Tullo, de la firme financière Albert Fried à New York. En un sens, faire des tournées est la façon de récupérer les revenus perdus à cause de la disponibilité de la musique sur l'internet.

«Les Rolling Stones, c'est une business, ajoute Richard Tullo. Ils partent en tournée pour faire de l'argent. Et le marchandisage est énorme. Par année, une personne comme Britney Spears peut engranger 50 millions en vente d'albums, DVD et produits connexes. De tels artistes reçoivent de 25% à 30% de droits d'exploitation liés à la vente d'articles promotionnels.»

En 2010, Keith Richards soulignait la même chose dans son autobiographie... pour laquelle il a reçu 7 millions. «Les tournées, c'était le seul moyen de survivre, lit-on dans Life. Les droits générés par les ventes de disques couvraient à peine les coûts de fonctionnement. Et on ne pouvait pas tourner en s'appuyant sur la sortie d'un nouvel album comme avant. En fin de compte, les mégatournées ont constitué la source de revenus qui permettait à la machine de continuer à fonctionner. À une plus petite échelle, on n'aurait pas été sûrs de faire nos frais. [...] Il y a eu des chuchotements indignés comme quoi on était devenus une entreprise commerciale, une pompe à pub, avec tous les commanditaires qu'on attirait, mais ça aussi, ça faisait partie des revenus de base. Comment ça se paie, une tournée? Tant que ça aboutit à un deal satisfaisant pour le public et pour les musiciens, c'est aux financiers de se débrouiller.»

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La toune à 112 500$ de C.R.A.Z.Y.

La scène se déroule dans une grande église, lors d'une messe de minuit. Zachary, personnage principal du film C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, s'élève au ciel pendant que 150 personnes chantent «Hou, hou...». Les «Hou, hou» de Sympathy for the Devil des Rolling Stones. «C'est une des plus longues nuits de ma carrière, se remémore Pierre Even, producteur d'Item 7. Car on n'avait pas encore les droits de la chanson au moment du tournage! En fait, on a su un mois et demi plus tard qu'on les obtenait!»

L'équipe de production (Cirrus) ainsi que Lucie Bourgouin, de Permission, spécialiste dans la libération de droits musicaux, attendaient l'aval d'ABKCO (Allen Klein), l'entreprise qui a réussi à mettre la main sur une partie du catalogue des Rolling Stones, à l'insu de ses membres, dans les années 60. «Allen Klein était vraiment riche!» lance Pierre Even.

Près de 600 000$ ont été consacrés à la libération de droits des chansons entendues dans C.R.A.Z.Y., réalisé en 2004. Mais si David Bowie a laissé aller un de ses succès pour environ 25 000$, la facture de Sympathy for the Devil s'élevait à 112 500$. «C'était 150 000$ pour le monde entier, mais on a finalement payé pour le monde entier-États-Unis exclus, explique Pierre Even. On a libéré plusieurs chansons pour une distribution du film partout, sauf les États-Unis. Pour la plupart, ça représentait alors 40% du prix. Sauf pour Sympathy for the Devil...»

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En chiffres...

86 MILLIONS

Revenus prévus de la tournée 50 and Counting

300 MILLIONS

Fortune évaluée de Mick Jagger

558,3 MILLIONS

Revenus aux guichets de la précédente tournée A Bigger Bang