Un premier avertissement avait été lancé le 7 juin : Destatis, l'institut fédéral de la statistique en Allemagne, a surpris tout le monde en annonçant que les commandes à l'industrie venaient de reculer de 2,5 % (avril).

Une telle baisse mensuelle, la quatrième d'affilée, n'avait pas été observée dans la première économie européenne depuis la crise financière de 2009.

D'emblée, certains ont cru que ce trou d'air était un phénomène passager, causé notamment par des grèves, des congés et même une épidémie de grippe qui a cloué au lit des milliers d'Allemands au printemps.

Or, voilà que les experts en viennent finalement à l'évidence : on assiste plutôt à un retournement de tendance au pays d'Angela Merkel, elle-même en grande difficulté sur le plan politique. Bref, le gros moteur allemand cale et risque de freiner le reste de l'Europe.

Le grand coupable de cette baisse de régime ? La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump.

Vers une croissance en dessous de 2 %

Coup sur coup, la semaine dernière, deux réputés instituts économiques ont revu en nette baisse leurs prévisions de croissance pour la quatrième économie du monde.

L'IFO, établi à Munich, a renoncé à sa prédiction qu'il défendait encore pendant l'hiver, en admettant que la croissance allemande s'établirait finalement à 1,8 % en 2018, et non à 2,6 % comme il l'anticipait récemment.

Coup de frein également pour le DIW, de Berlin, qui ne voit plus qu'une croissance à 1,9 % pour cette année, et de 1,7 % pour l'an prochain.

La raison de ces révisions ? La menace protectionniste touche de plein fouet le « made in Germany ».

Daimler sonne l'alarme

Symbole de l'industrie allemande, le géant Daimler a aussi sonné l'alarme mercredi soir en annonçant que son bénéfice en 2018 serait en baisse à cause des nouvelles taxes prévues sur les voitures importées aux États-Unis, mais aussi sur celles exportées des États-Unis vers la Chine.

Le président Trump, faut-il rappeler, menace d'imposer des droits de douane de l'ordre de 20 % sur toutes les voitures importées au nom de la « sécurité nationale » des États-Unis.

En 2017, les Américains ont produit 12 millions de voitures et poids lourds, mais ils ont acheté 8,3 millions de véhicules étrangers, dont 1,4 million de marques allemandes.

En plus, Trump a par ailleurs menacé d'imposer des droits sur 200 milliards US de produits chinois. En guise de riposte, la Chine a dit qu'elle appliquerait à son tour des taxes sur les produits américains, dont les voitures.

Or, ces frictions sino-américaines toucheront directement les VUS Mercedes-Benz, qui sont assemblés à l'usine de Tuscaloosa, en Alabama, puis expédiés en Chine.

Daimler sera donc frappé sur ses deux flancs.

L'allemagne dans le collimateur

Durant sa campagne présidentielle, Donald Trump avait fait des imposants excédents commerciaux allemands sa bête noire : à 50,5 milliards d'euros (77 milliards CAN) en 2017, le solde ne cesse en effet d'augmenter.

Pour le secteur automobile allemand, menacé de lourds tarifs aux frontières américaines, le choc pourrait s'élever à 5 milliards d'euros (7,7 milliards CAN) si on n'arrive pas à refiler la facture aux consommateurs, évalue l'institut économique Ifo, soit 0,2 % du PIB allemand.

« Aucun autre pays [en Europe] que l'Allemagne n'a autant à craindre en valeur absolue », explique Gabriel Felbermayr, auteur de l'étude.

Quant aux taxes que Trump veut aussi imposer sur l'acier et l'aluminium européens, mexicains et canadiens, cela occasionnerait des pertes additionnelles de plusieurs dizaines de millions d'euros pour les Allemands.

Un emploi sur quatre menacé

À la fédération industrielle allemande, le BDI, le ton est devenu alarmiste.

« Le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine entraîne aussi l'Allemagne dans la tourmente. Nous redoutons une nouvelle spirale protectionniste », soutient Dieter Kempf, président du BDI.

Les entreprises allemandes, a-t-il rappelé il y a quelques jours, ont des filiales et des investissements dans les deux pays et leurs chaînes de production sont grandement intégrées.

Si bien qu'« un emploi sur quatre en Allemagne est dépendant des échanges internationaux », soutient la Chambre de commerce et d'industrie allemande (DIHK).

Au-delà des effets immédiats de la crise actuelle, les inquiétudes des entreprises allemandes portent surtout sur l'avenir du commerce international lui-même. La menace protectionniste de Donald Trump risque en effet de laisser des marques profondes et d'étouffer l'investissement.

En entrevue au quotidien allemand FAZ, de Francfort, le président de la fédération du commerce extérieur BGA, Holger Bingmann, résume ainsi l'état d'esprit des gens d'affaires : « Beaucoup de confiance sur les marchés internationaux a été perdue. »

L'ALLEMAGNE EN BREF

• Population : 82 millions d'habitants

• PIB : 3500 milliards d'euros, soit environ 30 % de l'économie européenne

• Taux de chômage : 4,3 %

• Exportations : 1200 milliards (2017), soit environ 40 % des exportations de la zone euro